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les avantages de la paix. Pour rien au monde, il n’aurait aventuré une seconde fois l’existence de son royaume. D’ailleurs, ses idées politiques le rapprochaient bien plus de Metternich ou du tsar Nicolas que des libéraux allemands. Au moment des grandes réformes de Stein, il est vrai, il s’était solennellement engagé à donner une constitution à son peuple ; mais il s’était réservé de tenir la promesse à son heure, et il crut faire beaucoup en établissant des états provinciaux, qui ne réussirent point. Il avait subi Stein plus qu’il ne l’avait accepté, et parut toujours lui garder rancune des services qu’il en avait reçus. Il conserva Hardenberg, plus souple que Stein et plus habile à suivre la volonté molle, mais tenace, du roi. Frédéric-Guillaume III ne savait pas toujours ce qu’il voulait, ni même ce qu’il ne voulait pas : néanmoins, des ministres adroits pouvaient se régler sur ses penchons et sur ses antipathies. Or il lui répugnait évidemment de se soumettre au contrôle d’un parlement, et d’abandonner la moindre parcelle du pouvoir absolu que les Hohenzollern avaient toujours exercé dans leurs états.

Ainsi, point de vie politique proprement dite, ni en Autriche ni en Prusse : une administration irresponsable, muette la plupart du temps sur les buts qu’elle poursuit, souvent brutale dans ses procédés, exigeant des sujets l’obéissance passive, habile et bien dirigée en Prusse. De plus, une hostilité peu déguisée à l’égard des institutions parlementaires en vigueur dans l’Allemagne du Sud et de l’esprit libéral qu’elles entretenaient ; par suite, un appui toujours offert d’avance aux princes, en cas de conflit entre eux et leur parlement. La lutte était trop inégale. Le but au tendait la politique réactionnaire de la Prusse et de l’Autriche fut atteint : les libéraux des différens états allemands ne purent s’unir en un grand parti national. La vie politique des états constitutionnels, au lieu de se développer, déclina insensiblement Beaucoup de libéraux, découragés par l’avortement de leurs espérances, renoncèrent à leurs idées politiques et portèrent leur activité d’un autre côté. D’autres, aigris, tournèrent au radicalisme, voulurent donner raison à Metternich, et rêvèrent une révolution alors impossible en Allemagne. De là des excès de parole et de plume, des tentatives de soulèvement aussitôt réprimées qu’annoncées, suivies de persécution, d’exils et d’emprisonnemens. Tombant alors dans les illusions naturelles aux minorités exaspérées, ils ne virent plus à la place de l’Allemagne réelle que l’Allemagne de leurs désirs et de leurs haines, et ils finirent par se déchirer entre eux. C’est l’histoire bien connue de plusieurs esprits distingués, c’est l’histoire de la jeune Allemagne presque entière. Ce n’était point le cas des esprits posés,