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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/318

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valeurs. « Je gémis du fond du cœur, écrit Guillaume III à Heinsius, de ce qu’à mesure que la chose devient publique, la majorité se réjouit de ce que le Testament ait été préféré par la France… Tout le monde me presse avec instance pour que je reconnaisse le roi d’Espagne… Je ne prévois pas que je puisse le différer plus longtemps. »

Reçu à Madrid, le 18 février 1701, par un peuple enthousiaste ; proclamé roi, sans résistance, dans toutes les provinces espagnoles ; Philippe V est reconnu successivement par le duc de Savoie qui va devenir son beau-père, par le duc de Mantoue, l’électeur de Cologne, l’électeur de Bavière et plusieurs autres princes de l’empire, par le roi de Portugal, le roi d’Angleterre et les états-généraux. Louis XIV s’étonne lui-même de ce magnifique et facile triomphe. Tout se courbe sous le souffle puissant de la fortune.

Malheureusement, le vieux roi n’est pas encore devenu assez maître de lui-même pour résister aux nouvelles et enivrantes faveurs qu’elle lui prodigue. Il en est comme ébloui. La sage modération qui lui avait valu, depuis quelques années, l’estime de ses ennemis, l’abandonne. Il semble que toutes les ardeurs, toutes les audaces de sa jeunesse et de son âge mûr lui soient revenues. Quand il lui faudrait se faire pardonner tant de gloire, ménager les haines ombrageuses de ses adversaires, désarmer les jalousies des puissances neutres, à force de bonne grâce et de prudente conciliation, ses procédés sont violens et blessans, son bonheur est insolent ; son orgueil, que les exigences de la politique avaient réfréné et contenu, se réveille soudain ; comme jadis, on le voit à nu avec épouvante ; il se montre exubérant, insultant, provocateur. Les griffes du vieux lion, qui paraissait dormir, repu et satisfait, s’étendent tout à coup ; ses yeux demi-clos s’ouvrent tout grands et lancent des éclairs subits. Quelle proie va-t-il saisir ? L’Europe tremble de nouveau.

Les traités accordaient aux États-généraux le droit d’entretenir une garnison dans plusieurs forteresses des Pays-Bas espagnols ; ces forteresses étaient leur barrière, comme ils les appelaient, leur sûreté contre les entreprises de la France. Louis XIV obtient, de la junte qui administre l’Espagne, l’autorisation écrite de substituer, en Flandre, son autorité militaire à celle de son petit-fils, si le besoin s’en fait sentir. Le même jour, sans avertissement préalable, Boufflers, gouverneur de la Flandre française, fait occuper par ses troupes toutes les villes de la barrière. Ses lieutenans ont exécuté ses ordres secrets avec ensemble et dextérité, les garnisons hollandaises sont renvoyées dans leur pays, dont nous armons ainsi, de nos propres mains, le ressentiment et la vengeance. La volonté prudente du parlement maintenait à peine les frémissantes colères de