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Guillaume III, que nous avions reconnu solennellement, par les conventions de Ryswick, souverain légitime de la Grande-Bretagne ; en proclamant roi d’Angleterre le fils catholique de Jacques II, qui vient de mourir à Saint-Germain, Louis XIV viole impudemment les traités, aiguise jusqu’à la fureur le courroux de Guillaume, offense grièvement ses sujets, qui considèrent la garantie de la succession au trône dans la ligue protestante comme le plus sûr palladium de leurs libertés politiques. D’après le testament de Charles II, « comme il importe à la paix de la chrétienté que les deux monarchies soient séparées à jamais, la couronne d’Espagne appartiendra au duc de Berry, si Philippe d’Anjou vient à régner sur la France. » En confirmant Philippe d’Anjou, roi d’Espagne, par des lettres patentes, publiquement enregistrées, dans tous ses droits au trône de France, Louis défie toute l’Europe. Fatales et déplorables imprudences que les plus indulgens de ses historiens ne pourront lui pardonner ! Désormais, l’Angleterre, outragée dans sa foi religieuse et politique, la Hollande, bravée et menacée dans son indépendance, l’empereur, dont le testament a cruellement déçu les plus chères espérances, seront unis par une haine commune et mortelle contre la France ; la grande alliance est faite entre les principaux intéressés, aux yeux de l’Europe inquiète et sympathique.

Conclue le 7 septembre 1701, à La Haye, par la Grande-Bretagne, les États-généraux et l’empereur, elle recueille, en deux ans, les adhésions du Danemark, de la Prusse[1], des cercles du Rhin, de Franconie, d’Autriche, de Souabe, de Westphalie, puis de tout l’empire, du Portugal, de la Suède, du duc de Savoie lui-même[2]. Seuls, les électeurs de Bavière et de Cologne s’abstiennent et protestent. Au commencement de mai 1702, les trois puissances contractantes publient partout des manifestes pour faire connaître leurs communs griefs et nous déclarent la guerre.

Elle durera dix années tout entières, et ne laissera pas à la France un seul jour de repos. En Italie (1701-1707), en Allemagne (1702-1708), en Espagne (1702-1714), dans les Pays-Bas (1701-1712), sur le sol national lui-même, nos armées auront à combattre des ennemis pourvus de ressources pour ainsi dire inépuisables, animés contre nous de sentimens passionnés, forts par l’indissoluble union de leurs intérêts et de leurs haines, commandés par des hommes de guerre remarquables, auxquels nous ne pouvons opposer tout d’abord, sauf Catinat et Vendôme, que des généraux d’une

  1. Par le traité dit « de la couronne, » qui confère (1701) au grand-électeur Frédéric III le titre de roi et l’oblige à mettre une armée au service de la coalition.
  2. Le traité conclu à Turin, le 25 octobre 1703, stipule, en faveur des alliés, le concours actif de Victor-Amédée, et lui assure la possession du Montferrat, ainsi que d’une notable partie des états de Milan.