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en somptueuses toilettes. Là se disent les bons mots, les propos galans se nouent les intrigues[1], se chantent sonnets et chansons. On y essaie l’effet des toilettes nouvelles, et on déploie, sous le soleil, le chatoiement des étoffes rares.

Les fêtes sont bien variées, par le contraste des usages français apportés par les princes d’Anjou, et des antiques coutumes romaines qui sont restées dans les mœurs du pays.

Cette société frivole s’en allait, de gaîté de cœur et en chantant, vers les sombres malheurs politiques dont Pétrarque, juge non prévenu, avait noté les symptômes certains. Mais qui les pouvait prévoir, sous le paternel gouvernement du roi Robert le Sage, que chantaient les poètes, et qui vivait, comme un prince de contes des fées, en pleine fantaisie littéraire et artistique ? Il est le premier exemplaire des princes de la renaissance ; comme Pétrarque et Boccace ont cru continuer Virgile et Varron, Robert, de la meilleure foi du monde, a pris Auguste pour modèle.

Naples est voisine des premières sources de la littérature italienne. C’est parmi un étrange mélange de peuples, sous l’influence d’un prince allemand épris de civilisation orientale, Frédéric II, dans la Sicile et l’ancienne Grande Grèce, que les muses italiennes se sont éveillées. A la cour de Robert, la poésie sicilienne rencontrait la provençale, sa sœur aînée, comme elle attachée aux formes métriques rares et difficiles, vouée comme elle à l’expression un peu factice d’amours quintessenciées. Les Français, pour leur part, apportaient leur goût pour les longs récits et pour les romans de chevalerie. Les moines calabrais, en possession de la vraie tradition hellénique, répandaient le goût des études grecques et enseignaient la langue de leurs pères, oubliée dès longtemps des Latins. Tel ce singulier Barlaam que Boccace put connaître, qui enseigna à Pétrarque le peu qu’il sut de grec, et trouva moyen d’intéresser à ses querelles et à ses idées le monde latin comme le monde hellénique.

Une autre aurore s’est levée, et les rayons en brillent jusqu’à Naples. Le XIIIe siècle a vu ressusciter en Toscane les arts du dessin, et l’Italie du Sud, où ces arts ne sont jamais tout à fait morts, accueille avec joie les maîtres qui les rajeunissent. Les nobles Napolitains faisaient venir de Rome des statues et des débris antiques pour en orner leurs maisons, et le roi attirait les artistes les plus fameux. Giotto, laid et chétif, mais rayonnant de génie naturel, peignait au château de l’Œuf des scènes de la Divine Comédie. Et

  1. « Plus d’une y est venue Lucrèce, qui s’en retourne Cléopâtre. » (Boccace, Sonnet 69.)