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la convocation des états-généraux eût été annoncée, quand le ministère eût excité les esprits en ouvrant, au sujet des formes des élections et des délibérations le plus singulier concours public, les têtes s’échauffèrent. Il n’y eut pas d’écrivain, de donneur d’avis qui ne se crût obligé de publier une brochure ou un livre. Depuis l’invention de l’imprimerie, toutes les tenues d’états avaient été précédées d’un flot de publications ; dans l’hiver qui suivit la convocation, la France fut inondée par un torrent d’écrits de tous formats et de toutes sortes. La révolution n’était encore que dans les têtes, mais elle les bouleversait.

Parcourez les titres, lisez les propositions : on ne se contente plus des états périodiques, du libre vote de l’impôt et de la liberté individuelle ; on ne cite pas seulement l’Esprit des lois, le Contrat social fait son entrée sur la scène politique : on passe subitement du gouvernement pondéré à la démocratie pure ; l’autorité des états n’y est pas soutenue au nom de l’expérience, avec le bon sens pratique des députés français aux états de Tours ou de Blois, comme la plus sage des garanties, comme la transaction la plus féconde. Le ton change ; refaire la constitution du royaume sur de nouvelles bases, proclamer les droits des citoyens, reconnaître la souveraineté du peuple, voilà la phraséologie du temps. Le langage est nouveau, les idées sont plus nouvelles encore. On voit poindre la doctrine de l’égalité des hommes et monter à la surface toutes les rancunes qui fermentaient au fond du cœur des opprimés.

Attendez quelques mois de plus. Un hiver sans précédons a ajouté aux souffrances du peuple des rigueurs terribles ; les campagnes sont désolées, les paysans ruinés, menacés de famine ; la crainte des privations du lendemain redouble l’irritation ; la disette affole. C’est au milieu de cette calamité publique qu’il faut dresser les cahiers de doléances. Jamais appel aux villages n’avait coïncidé avec plus de misères. Comparés aux cahiers du XVIe siècle, ceux de 1789 contiennent des cris de désespoir. Comment en aurait-il pu être autrement ? Tout d’un coup, les paysans, qui n’avaient aucune part aux affaires, sont convoqués au son de la cloche de la paroisse pour délibérer en assemblée générale. Sur quelle question ? Sur tous les griefs qu’ils peuvent avoir : sur les impôts trop lourds, sur les corvées trop dures, sur les abus exercés par les seigneurs ; ils ont le droit de proposer leurs remèdes, d’indiquer les réformes, de porter la main, s’il leur plaît, sur la constitution de l’état.

Dans les villes, le même phénomène se produit : la populace n’avait pas encore pris part au mouvement. Frondeuse par goût, lâche par tempérament, elle avait toujours été contenue et ne songeait pas, quoi qu’on en ait dit, à se soulever. A plusieurs reprises,