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une faute qui ne se répète, comme pour rendre plus irréfutable chaque démonstration. En voyant l’omnipotence d’une seule assemblée de 1789 à 1795, nous devons mettre au premier rang de nos maux la tyrannie d’une chambre sans contrepoids, se croyant tout permis ; — en mesurant le rôle des sections et des districts, nous devons tenir pour un désordre les comités permanens qui dominent les députés, leur imposent de voter, de penser et d’agir, et établissent, sans l’avouer, le pire des mandats impératifs ; — la suspension des parlemens, la refonte intempestive des tribunaux, qui a facilité l’anarchie, nous enseignent que, loin d’affaiblir les institutions judiciaires, un peuple libre a le devoir de constituer dans son sein une justice beaucoup plus forte qu’en une monarchie, afin de donner une sanction au respect des lois ; — la constitution civile du clergé, les luttes du pape et de l’empereur, les persécutions impuissantes et taquines, nous apprennent que jamais, quel que soit le grief, quelle que soit la puissance d’un homme ou la passion des foules, il n’est permis à la politique de mêler à ses querelles les questions de conscience.

En présence enfin de cette école d’immoralité ouverte depuis un siècle par l’instabilité de nos constitutions, pénétrons-nous de l’irrémédiable impuissance de ce que les hommes appellent la force. Elle crée des apparences, dresse des monumens sans assises et construit sur le sable. Les idées seules pénètrent et durent ; seules, elles poussent de fortes racines. Il est de mode de vanter l’audace. On se rit des modérés et des patiens ; c’est à eux qu’appartient le monde.

Les maximes posées par Mounier semblaient vaincues de 1790 à 1814. Elles sont toutes debout ; elles ont fait le tour des sociétés ; elles gouvernent la civilisation humaine ; elles rendent possibles tous les progrès. Les principes de ses adversaires ont versé le sang, troublé les âmes, déchaîné dix révolutions, n’ont triomphé un instant que pour soulever à jamais les remords et attirer la malédiction de ceux qui veulent les nations libres et respectées. L’heure est décisive : c’est au pays à juger. De toutes parts, les fous le pressent ; les sages l’attendent. Fasse le ciel qu’éclairée par les rudes leçons des cent années qui s’achèvent, la France, désabusée des théories et des systèmes, sache comprendre que la fermeté de caractère, l’esprit de suite, la vaillance dans la modération, les hommes passionnément raisonnables peuvent seuls sauver la liberté et défendre l’ordre contre ses plus dangereux ennemis : les héritiers des jacobins et les coureurs d’aventures !


GEORGES PICOT.