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l’auteur commande à son personnage de lancer. Plutôt qu’une comédie, c’est une satire, distribuée entre une vingtaine de récitans : or, pour une satire, la durée de trois actes est bien longue. Même au Théâtre-Libre, le public s’en est aperçu ; il s’en serait plaint assurément, s’il n’avait respecté ces vers drus et gaillards. Matapan, écrit en prose, n’était qu’une revue assez morne.

Le Pain du péché ne pouvait guère se traduire en prose, à moins que ce ne fût dans la prose de l’Arlésienne… La poésie de M. Paul Arène a cette même couleur, ce même parfum, cette même souplesse, avec l’allure plus légère et plus vive que donne le mètre à de jolis mots bien attachés. On l’a suivie avec plaisir, d’un bout à l’autre de ces quatre petits actes, cette mélodie caressante et rapide. Mais la poignante sympathie que devait éveiller l’action, il m’a semblé qu’elle sommeillait. Une faute commise dans la composition d’un caractère avait gâté l’effet de l’ouvrage. — Malandran, le mari de la coupable Fanette, a levé les épaules quand sa tante nous a conté cette légende du pays : le pain qu’a touché une fois la femme adultère devient, pour quiconque le mange, un poison mortel… Malandran a traité cette fable de « vieille sornette. » Il n’y croit donc pas. Le jour même, il poursuit et rattrape sa femme enlevée par Véranet : au lieu de la tuer, comme d’abord il en a fait le geste, au lieu de sauter sur le ravisseur qui le provoque et l’insulte, que pensez-vous qu’il fasse ? Il enveloppe leur dîner dans la nappe et l’emporte… Il l’emporte à la maison, pour le donner aux enfans de sa femme : la belle affaire ! Il y croit donc, maintenant, à la vertu pernicieuse de ce pain ? Avant de nous aviser que ses idées sont incohérentes, nous jugeons que sa conduite est ridicule. Et quand il l’offre aux enfants, ce pain maudit, quand il menace de les en gaver, nous ne frémissons pas. Il fallait qu’il crût si fortement à la tradition, d’une foi si invétérée, si ardente, qu’il nous eût presque déterminés à y croire. Mais nous savons trop que les petits ne risquent rien ; nous concevons à peine que leur père, changeant d’opinion, admet l’efficacité du maléfice : nous le voyons furieux, nous nous demandons s’il est fou, simplement. Ou bien, par hasard, pour que cette miche innocente servît mieux sa vengeance, l’aurait-il assaisonnée en chemin d’un peu de mort-aux-rats ? Oh ! le crime hypocrite, sous le couvert du diable ! Il faudrait le dénoncer plus clairement. Notre soupçon ne dure pas, mais il en reste une impression désagréable.

Ah ! que la scène qui suit, pourtant, nous paraît belle ! Comme elle nous émeut en sursaut ! Comme elle nous saisit d’une horreur shakspearienne ! Il n’est plus besoin de légende ici, ni de foi dans la légende : l’humanité suffit. L’époux trahi est assailli de doutes sur l’origine de ses enfans ; sa pensée, jalouse et inquiète, remonte les années vécues depuis son mariage ; peu à peu elle ne laisse pure aucune