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inconstitutionnelle par un arrêt dont les considérans essentiels font ressortir la mission tutélaire des tribunaux.

« La charte de 1769 est an contrat, dans lequel l’état de New-Hampshire se trouve partie contractante au lieu et place de la couronne d’Angleterre, depuis la séparation des colonies. Le parlement britannique en vertu de son omnipotence aurait pu modifier la charte primitive ou la révoquer. Mais la constitution américaine impose à la puissance législative des restrictions qui l’obligent notamment au respect des contrats privés. Ce pouvoir de révocation n’appartient donc pas à la législature du New-Hampshire. La loi de 1816 porte atteinte au contrat de 1769 ; en conséquence, elle est nulle. »

Ainsi l’autorité judiciaire du rang le plus élevé décide que la république des États-Unis, succédant à la monarchie anglaise, en assume toutes les charges, sans en recueillir toutes les prérogatives. L’antique contrat est maintenu intégralement, quoique transmis par un gouvernement déchu, qui aurait eu la faculté légale de l’abroger. Si ces doctrines, éminemment protectrices du droit personnel, passent des régions abstraites dans le domaine des réalités, la magistrature américaine peut en revendiquer l’honneur.

Est-elle invariablement restée à la hauteur de son rôle ? Il faut reconnaître que les citoyens venus pour lui demander appui contre les empiètemens parlementaires n’ont pas toujours obtenu d’elle la protection sur laquelle ils devaient compter. Une loi du Connecticut, adoptée en 1833, ferme les écoles ouvertes aux noirs. Cette loi transgressait la constitution. Miss Prudence Grandall, qui avait fondé à Canterbury une école où elle admettait les jeunes filles de couleur, continua de les recevoir en dépit de l’interdiction législative. Elle fut emprisonnée, traduite en justice, condamnée, et réduite enfin à s’expatrier après deux ans de lutte stérile. La cour supérieure de l’état, cédant à la pression populaire, évita par une échappatoire de se prononcer sur la question constitutionnelle.

On aurait à signaler bien des exemples semblables dans les annales judiciaires de l’Amérique, surtout parmi les juges locaux, depuis que l’élection les a transformés en politiciens. L’action de la magistrature fédérale fut paralysée souvent par le mauvais vouloir et les jalousies des états particuliers. La cour suprême, elle aussi, est accusée d’avoir eu ses heures de défaillance. Elle n’a pas réussi du moins, malgré ses prérogatives exceptionnelles, à préserver le pays de la guerre civile. Un jour est arrivé, avant la fin de la période centenaire, où rien n’a pu contenir la violence des partis, ni les empêcher de vider leur querelle par les armes. Il fallut, cette fois, renoncer à l’espoir de trouver dans les combinaisons légales une solution pacifique.