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du parti démocrate. « On allègue, dit-il, que la cour suprême est un tribunal institué pour résoudre les grands problèmes constitutionnels, et que devant ses décisions tous les pouvoirs n’ont qu’à s’incliner. Je le conteste absolument. L’autorité de la cour suprême est irrécusable pour juger les causes qui, des tribunaux sur lesquels s’étend sa juridiction, lui reviennent en appel. Mais elle n’oblige ni le congrès ni le président. Si des interprétations différentes sont adoptées de part ou d’autre, c’est le peuple qui forme le vrai tribunal et prononce en dernier ressort. Chaque pouvoir est l’agent direct du’ peuple, et remplit sa mission distincte dans la limite des attributions qui lui sont conférées. Lorsque des conflits éclatent au sujet de ces attributions mêmes ou de leur étendue, le peuple seul doit en décider au scrutin. »

Trente ans s’écoulent, et les deux doctrines contradictoires subsistent toujours. Mais, par un phénomène assez fréquent dans l’histoire des partis en Amérique, elles ont changé de camp, et les rôles se trouvent intervertis. Ce sont alors les démocrates qui défendent la suprématie de l’arbitrage judiciaire avec autant de vigueur qu’ils en déployaient naguère pour la combattre. A entendre leur chef, le président Buchanan, proclamer, dans son adresse d’inauguration, « qu’il se rangera, comme tous les bons citoyens, à l’opinion de la cour suprême sur une difficulté constitutionnelle qu’elle a le droit de régler, » ne croirait-on pas reconnaître quelque vieux survivant de l’école fédéraliste ? Ce revirement s’explique. Le haut tribunal va juger une grave affaire, où est impliquée la question de l’esclavage, et les démocrates esclavagistes ont lieu de compter sur une sentence favorable à leurs intérêts.

Mais les républicains, héritiers des whigs et des anciens fédéralistes, exécutent un changement de front inverse. Ils se rallient au système de l’indépendance des pouvoirs, qu’ils ont si fort attaqué lors du débat sur la banque, et empruntent le langage même de Jackson pour réfuter leurs propres principes d’autrefois. « L’arrêt de la cour suprême, dira plus tard le président Lincoln dans son message inaugural, le 4 mars 1861, est obligatoire pour les parties au procès et résout le point en litige ; il mérite aussi d’appeler l’attention des autres détenteurs de la puissance publique dans les cas semblables. Mais les citoyens impartiaux avoueront que, si la politique du gouvernement sur les questions vitales intéressant la nation entière est irrévocablement fixée par la cour suprême, le peuple abdique sa souveraineté au profit de l’auguste tribunal. »

En 1868, le procès du président Johnson devant le sénat vient raviver la controverse. Cette fois, les mêmes positions sont conservées par les deux partis en présence. Johnson, d’accord avec les démocrates, s’appuie sur la jurisprudence des tribunaux, et