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puissans l’hommage de ses louanges et de son esprit, et accepte en retour leurs dons et leurs libéralités… On ne craignait que l’ennui ou le ridicule, et on avait les deux à satiété. La religion avait disparu, et l’indifférentisme de la libre pensée n’avait fait que développer davantage la superstition, le goût de la magie, des évocations et de l’astrologie ; le fond sérieux et moral de la vie, chassé des habitudes, des mœurs et des lois par le raisonnement, était étudié théoriquement dans les écoles des philosophes, et devenait l’objet de discussions et de querelles littéraires… »

Cette paix de dix ans, sous l’autorité sans contrôle de Démétrius de Phalère, avait développé à Athènes une prospérité matérielle inouïe. Le commerce, encouragé par le despote, faisait affluer les richesses ; attirés par l’éclat de la civilisation, par les hétaires, la science, les arts, les étrangers venaient de toutes parts dépenser leur argent dans la capitale des plaisirs, du luxe et des lumières. Les artistes ne pouvaient suffire aux commandes, soit des états ou tyrans étrangers, soit de la ville elle-même ; en trente jours, dit-on, trois cent soixante statues furent élevées, par décret du peuple, au seul Démétrius.

Remarquons-le, presque tous les traits du tableau que Droysen vient de nous présenter sont en opposition directe avec les dogmes et la discipline morale d’Épicure. Celui-ci proscrit toute agitation, toute exaltation ; il prêche la modération dans les plaisirs des sens, et cette modération, il veut qu’elle aille presque jusqu’à l’entière abstinence. Il est l’ennemi de la culture raffinée, de l’art et du beau langage, de la philosophie en tant qu’elle n’est qu’une occupation élevée pour l’esprit. Il recommande la vie à la campagne, loin des faveurs et des caprices de la multitude ou des tyrans. Les grandes richesses, par suite le commerce qui les attire et les amasse, sont incompatibles avec le bonheur, tel que l’entend le sage épicurien. On sait enfin comme la nouvelle doctrine déracine chez ses adeptes la superstition sous toutes ses formes : présages, divination, oracles, surtout ces cultes étrangers et orientaux, qui, dès avant la conquête d’Alexandre, avaient commencé d’envahir la Grèce, remplissant les âmes de trouble, d’épouvante, et des délires les plus honteux.

Ainsi, à qui regarde de près l’état moral des Grecs, principalement des Athéniens, au moment où s’ouvre l’école d’Épicure, il apparaît que celui-ci se donna et fut accepté comme un réformateur, non comme un complice, de la corruption générale. Sur presque tous les points il attaque, sans compromis ni transactions (au moins quant à la théorie), les mœurs, les opinions, les goûts de son époque, et, s’il fut suivi, c’est, encore une fois, précisément