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bonne et secourable, de certains philosophes comme Socrate et Platon, pouvait avoir quelque prise sur les âmes ! Mais il semble qu’elle dépassât la moyenne des intelligences même éclairées. Or c’est cette moyenne qu’il s’agissait de conquérir, de rassurer, de pacifier. C’est elle qu’il fallait arracher à la menace, toujours suspendue, de la superstition :


Horribili super adspectu mortalibus instans.


On peut croire que des doctrines comme celles du Démiurge de Platon et de la Pronoia des stoïciens n’avaient pas, pour la plupart des esprits, un sens plus élevé que les traditions de la religion populaire. L’imagination matérialisait ces belles conceptions et en faisait des dieux comme les autres. Cicéron nous apprend que les épicuriens traitaient la Pronoia stoïcienne de vieille femme : bien des gens, sans doute, croyaient naïvement qu’elle était quelque chose comme cela. Tous les philosophes avaient d’ailleurs laissé aux divinités mythologiques et leur existence et une puissance assez étendue. Ni Socrate ni Platon n’avaient rejeté la divination ; les stoïciens lui firent une grande place dans leur théologie. Dès lors, la vie humaine restait en proie à la terreur, et le parti extrême, pris par Épicure, paraissait le seul qui pût véritablement garantir le salut.


IV

Il peut sembler étrange, après cette négation radicale d’un gouvernement divin de l’univers, qu’Épicure ait admis formellement l’existence de divinités éternelles et bienheureuses. Il l’admet pour deux raisons : la première, c’est que tous les hommes y ont cru ; le témoignage universel du genre humain constitue, pour la logique épicurienne, une anticipation, qui est un signe infaillible de vérité. Cicéron affirme qu’Épicure, le premier, a fondé la croyance à l’existence des dieux, sur cette notion imprimée par la nature même dans l’âme de tous les hommes.

La seconde raison est toute a priori. Les épicuriens admettent, sans preuve, comme évidente, une loi d’isonomie, c’est-à-dire d’égale distribution des êtres, d’équilibre numérique entre les individus des différentes espèces. Lucrèce donne un exemple curieux de l’application de cette loi : « Si tu observes, dit-il, que certaines espèces sont moins nombreuses que d’autres, et que la nature est moins féconde à les produire, sache qu’en d’autres pays, dans