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passé, qui font aisément comprendre qu’il y eût à Rome plus de partisans de l’ancien culte qu’ailleurs.

Les empereurs ne l’ignoraient pas, et, à ce qu’il semble, ils le supportaient. Soit par un reste de considération pour l’ancienne maîtresse du monde, soit qu’ils aient craint d’y exciter quelque désordre en se montrant trop sévères, ils ne crurent pas devoir lui appliquer dans toute leur rigueur les lois qu’ils faisaient contre le paganisme. Libanius affirme que les sacrifices y étaient tolérés, pendant qu’on les interdisait dans tout l’empire, et un récit fort curieux d’Ammien Marcellin prouve que Libanius ne nous a pas trompés. Ammien raconte que, pendant l’hiver de l’année 359, le temps fut affreux, et que les vaisseaux d’Afrique ne purent pas apporter le blé dont Rome avait besoin pour vivre. Le peuple, selon l’usage, accusa les magistrats de négligence, et le préfet de la ville eut grand’peine à lui échapper. Heureusement qu’en ces graves circonstances, les dieux vinrent au secours de leur cité chérie. Un jour que le préfet réfugié à Ostie immolait une victime, dans le temple des Castors, le vent tomba tout à coup, la mer redevint calme, et l’on vit de tous les côtés des navires chargés de blé se diriger vers le port. Il y avait alors plusieurs années que Constance avait défendu, sous les peines les plus sévères, de sacrifier aux dieux, ce qui n’empêchait pas, comme on vient de le voir, qu’un magistrat romain, le premier de tous en dignité, dans une circonstance officielle, osât violer ouvertement la loi, sans craindre d’être puni ou réprimandé.

Ainsi les païens jouissaient à Rome d’une plus grande liberté qu’ailleurs ; ils avaient de plus un avantage précieux, dont ils étaient privés dans les autres villes, et qui leur rendit la résistance plus facile. Ce qui nuisit surtout au paganisme, ce qui le livra sans défense aux coups de ses ennemis, c’est qu’il n’était pas organisé pour la lutte. En sa qualité de religion officielle, il s’était habitué à compter sur l’état pour le protéger : tout lui manqua le jour où il fut abandonné par le souverain. Ses prêtres, en ce malheur, lui furent de peu d’utilité. Dans la religion romaine, le sacerdoce était une sorte de magistrature civile ; on était pontife ou flamine en même temps que duumvir, et l’on remplissait de la même façon ces fonctions différentes. On n’apportait donc pas, dans l’exercice du ministère sacré, cet esprit de corps et cette passion religieuse qui sont un puissant secours pour un culte menacé. Aussi, quand il plut aux empereurs d’interdire les sacrifices et de fermer les temples, ils ne rencontrèrent en face d’eux aucune opposition sérieuse. Il y eut bien, dans certains pays où l’ancienne religion avait conservé son empire, quelques efforts pour défendre un sanctuaire plus respecté, une divinité plus populaire : en Égypte,