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le sang coula autour du temple de Sérapis ; il y eut des chrétiens massacrés, dans quelques villes d’Afrique, devant les statues d’Hercule ; mais ces tentatives furent vite réprimées. Les populations païennes, ne se sentant pas soutenues et dirigées, après quelques jours de violence, se hâtèrent de se soumettre. A Rome, les circonstances étaient plus favorables pour elles ; elles avaient au moins un centre autour duquel elles pouvaient se ranger, c’était le sénat. Depuis Dioclétien et ses réformes politiques, le sénat avait perdu une partie de l’importance dont il jouissait à la fin du IIIe siècle[1] ; cependant les princes le ménageaient beaucoup ; ils continuaient à choisir parmi ses membres les plus hauts fonctionnaires de l’empire, et son nom conservait tout son prestige : c’était toujours, comme dit Symmaque, ce qu’il y avait de mieux dans le genre humain, pars melior generis humani.

Or le sénat était resté en grande partie païen. Ces grands corps aristocratiques sont toujours conservateurs ; celui-là surtout, qui tirait toute son illustration du passé, devait être contraire aux nouveautés. On y professait ouvertement la maxime « qu’en toute chose les anciens ont toujours raison, et que, toutes les fois qu’on change, c’est pour faire plus mal. » Avec une telle disposition d’esprit, on comprend que le sénat n’ait pas été favorable aux innovations de Constantin et qu’il soit resté longtemps fidèle à la religion, comme aux usages, des aïeux. Cependant, vers le milieu du IVe siècle, on remarque que plusieurs grandes familles commencent à être ébranlées dans leur foi. C’est par les femmes que la haute société de Rome, jusque-là si obstinément païenne, a été entraînée au christianisme. Les femmes, celles surtout de cette aristocratie intelligente et lettrée, se sentaient attirées vers la nouvelle religion par l’intérêt qu’elles prenaient aux grandes questions qu’agitait alors l’église. Personne ne leur contestait le droit de les discuter. Les plus grands docteurs de ce temps, saint Jérôme et saint Augustin, ne se montrent jamais surpris d’être consultés par elles sur les problèmes les plus obscurs de la théologie, et ils mettent une complaisance infatigable à leur répondre. On peut dire hardiment que de nos jours, où c’est un lieu-commun de proclamer leur droit à tout connaître et à se mêler de tout, elles n’occupent pas dans nos polémiques politiques et religieuses la place qu’elles avaient prise au IVe siècle. Elles trouvaient donc, dans le christianisme, une satisfaction pour leur esprit comme pour leur âme, et il n’est pas surprenant qu’elles s’y soient jetées avec tant d’ardeur. Une fois

  1. On peut étudier à ce sujet l’ouvrage intéressant que M. Lécrivain vient de publier sur le Sénat romain depuis Dioclétien, à Rome et à Constantinople.