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Bade, l’émeute grondait dans toutes les grandes villes, la Prusse avait ouvert les hostilités contre le Danemark, et les Slaves autrichiens s’efforçaient de rompre les liens qui rattachaient l’empire des Habsbourg à l’Allemagne.

Il aurait fallu au pouvoir central, soit l’appui du cabinet de Vienne, soit celui du cabinet de Berlin, pour tenir tête à tant de complications. Mais qu’attendre de l’Autriche ! Sa sollicitude se reportait entière, et avant tout, sur les intérêts si compliqués, si divers, de ses provinces slaves et de ses royaumes de Hongrie et d’Italie. La Prusse était l’unique espoir de la diète ; elle comptait sur ses armées et sur son autorité morale ; elle aimait à se persuader qu’elle ne se laisserait pas médiatiser et réagirait énergiquement contre le courant révolutionnaire. Le roi Frédéric-Guillaume, en effet, n’entendait pas laisser discuter ses droits par la révolution ; c’est avec les souverains seuls qu’il voulait élaborer une nouvelle constitution. Déjà il les avait convoqués à un congrès qui devait se réunir à Dresde, lorsque, le 18 mars, la révolution éclata à Berlin. Elle devait lui coûter sa popularité et détourner de la Prusse toutes les sympathies germaniques. Après avoir fait mitrailler sa capitale pendant seize heures, il saluait les cadavres des insurgés du haut de son balcon, et adressait « à ses chers Berlinois » une proclamation burlesque qui souleva dans toute l’Allemagne un cri de réprobation. Il glorifiait à la fois les mitrailleurs et les mitraillés ; il invoquait le droit divin et se proclamait roi allemand de par le droit révolutionnaire[1]. Ce fut en vain qu’il s’efforça de ressaisir

  1. Dépêche de Cassel, 25 mars 1848. — « La question de l’unité allemande n’a pas fait un pas depuis les événemens de Berlin. Les dernières proclamations du roi de Prusse n’ont rien terminé, rien résolu ; elles ont plutôt tout compromis. Frédéric-Guillaume est partout l’objet d’un concert bruyant de réprobations et d’invectives. Tous les vœux, toutes les sympathies des états secondaires de la confédération se détachent de la Prusse. La presse traduit avec véhémence l’indignation générale. » — « Il est trop tard ! tel est le mot qui se retrouve dons toutes les polémiques. A Cassel, l’opinion est unanime. Tous les jours, il paraît des pamphlets orduriers dans lesquels le roi est pris à partie ; on conjure l’Allemagne de se tenir en garde et de ne pas laisser avorter l’œuvre de l’unité par le fait d’un mauvais comédien (sic). Vous verres par l’extrait de l’un de ces pamphlets joint à ma dépêche ce qui se dit et s’imprime en Hesse sur le compte du roi Frédéric-Guillaume : — « Un Allemand au roi de Prusse. Nous avons lu avec un étonnement mêlé d’indignation la proclamation par laquelle tu annonces à l’Allemagne que tu te places à sa tête. Il y a longtemps déjà que nous assistons avec pitié à ton charlatanisme et que nous plaignons ton peuple. Nous te méprisons, car tu es un second Néron, unissant une ambition brutale à une vanité puérile. Tu es pire que Néron, car tu as fait assassiner ton peuple traîtreusement et de sang-froid. Tu as fait de ta « ville chérie de Berlin » un théâtre d’atrocités. Tu as laissé les enfans d’un même pays s’entre-égorger pendant seize heures, et tu es resté impassible alors que les premiers de ton royaume te suppliaient d’arrêter le carnage. Néron n’aurait point fait cela ! Et maintenant que tes satellites ont succombé, que ton aide Metternich est jugé, que tu appartiens au bourreau, tu veux te placer à notre tête ! Si ton peuple est assez dénaturé pour ne point te chasser, sache que nous ne t’endurerons pas, que nous ne laisserons pas salir par toi notre bannière tricolore. Nous préférerions plutôt nous unir au tsar blanc. Va, tu n’es qu’un misérable comédien, qu’un maudit assassin ! Malédiction sur toi ! » — Imprimé à Cassel, à l’imprimerie Hotop. — Cette réprobation contre la conduite et les prétentions du roi Frédéric-Guillaume ne se fait pas seulement jour dans les classes moyennes, elle a pénétré aussi dans les classes populaires. Une foule immense s’est portée hier soir devant l’hôtel Au roi de Prusse, et a demandé à grands cris la suppression de l’enseigne. Pour éviter une collision, le propriétaire de l’hôtel a dû se soumettre aux exigences des manifestons. »