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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/849

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pour achever de conquérir la popularité. Et, si, pour tant d’imitateurs qu’Horace, que Cinna, que Pompée, que Rodogune ont suscités à Corneille, le Cid a au contraire attendu jusqu’à nos jours pour en avoir parmi nos romantiques, il faut bien croire que le poète ne se trompait pas entièrement sur le goût de ses contemporains et sur la tendance de l’esprit public, en empruntant plutôt ses sujets à l’histoire grecque, romaine, ou byzantine au besoin, qu’à l’histoire moderne, espagnole ou française.

Je passerai rapidement sur Polyeucte, non pas toutefois sans dire que, si la date en semble aujourd’hui certaine, d’autres dates, alors, que je voudrais bien qu’on eût vérifiées de plus près, m’inspirent quelques doutes. « C’est à la fin de l’année 1640, disait jadis M. Marty Laveaux, dans sa très belle et très bonne édition de Corneille, que l’on a représenté Polyeucte ; » et il ajoutait : « Jamais aucun doute ne s’est élevé à ce sujet. » Lui-même, cependant, a reconnu depuis lors que cette date pouvait être fausse, et aujourd’hui, sur la foi d’une lettre assez obscure d’ailleurs, on admet communément que Polyeucte n’aurait été joué pour la première fois que dans le commencement de l’année 1643. Auquel cas il ne reste plus à lever qu’une difficulté. Si Polyeucte, en effet, ne date que de 1643, il faut donc que Corneille, de 1643 à 1645, ait donné Polyeucte, Pompée, le Menteur, la Suite du Menteur, Rodogune et Théodore. En moins de trois ans, cela fait quatre tragédies et deux comédies, ce qui, sans doute, est beaucoup ; et, comme à l’exception de Théodore, qui n’eut que cinq représentations, toutes ces pièces réussirent, on se demande où, je veux dire sur quelles scènes, elles peuvent bien avoir été jouées. Car, on ne connaît guère à Paris que deux théâtres, pour cette période, celui de l’Hôtel de Bourgogne et le théâtre du Marais ; ils ne jouaient chacun que trois fois par semaine ; Corneille n’était pas homme à donner ses pièces à d’autres « troupes » ou d’autres bandes, s’il y en eût eu, qui l’auraient payé chichement ; et, enfin, pour ces trois années 1643, 1644 et 1645, les frères Parfaict, dans leur Histoire, nous ont conservé les titres d’une quarantaine de pièces (trente-neuf, exactement), qui, sans doute, elles aussi, ont dû être représentées quelque part. Entre autres points obscurs, en voilà quelques-uns que nous eussions aimé que M. Bouquet essayât d’éclaircir. On a si souvent contesté à Corneille la priorité de quelques-unes de ses inventions, qu’il y a peu d’écrivains, — après Voltaire cependant, qui les lui a surtout disputées, — dont la bibliographie importe davantage à une connaissance précise de leur œuvre. Je proposerais, si je pouvais en donner ici les motifs, de mettre Polyeucte en 1642, Pompée et le Menteur en 1643, Théodore et la Suite du Menteur en 1644 ou 1645, et Rodogune en 1646.