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s’étaient abstenus d’y venir. « C’étaient, nous dit-il, des chrétiens qui craignaient quelque violence. » Il ajoute que les absens ont envoyé une protestation à l’évêque de Rome et qu’il en possède un exemplaire. On voit que l’opinion de saint Ambroise et celle de Symmaque ne se contredisent pas tout à fait, comme on l’a quelquefois prétendu, et qu’il est possible de les concilier. Les chrétiens devaient être en majorité dans le sénat, ainsi que saint Ambroise l’affirme ; mais cette majorité comprenait beaucoup de gens indécis, craintifs, irrésolus, qui avaient peur de se compromettre ; et, comme, le jour où il fallait affirmer leur foi, ils restaient chez eux, ils laissaient la minorité païenne, plus ferme, plus compacte, composée de plus grands personnages, faire ce qu’elle voulait. — C’est ainsi qu’elle décida d’envoyer Symmaque à l’empereur pour lui demander de rendre au sénat l’autel de la victoire.

Il partit donc pour Milan, où la cour résidait alors ; mais son voyage fut inutile. Gratien avait été prévenu par le pape Damase de ce qu’on devait lui demander ; on lui avait remis une lettre des sénateurs chrétiens, qui protestaient un peu tardivement contre la démarche que faisaient leurs collègues. Malgré tous ses efforts pour voir le prince, Symmaque ne fut pas reçu, et dut reprendre tristement le chemin de Rome.

L’année suivante, les choses changèrent de face. D’abord la récolte fut très mauvaise : le blé manqua dans toute l’Italie et Rome souffrit de la famine. Les païens, comme on pense, ne manquèrent pas de dire que c’étaient les dieux qui se vengeaient. Mais ce qui leur parut un signe plus évident de la colère céleste, c’est la triste destinée du prince qui s’était montré si rigoureux pour la religion nationale. Dans l’été de l’année 383, Gratien fut assassiné par un de ses généraux, Maxime, qui se fit proclamer empereur en Gaule.

Les circonstances étaient redevenues favorables pour le sénat. Le jeune frère de Gratien, Valentinien II, qui conservait l’Italie, ne s’y sentait pas très solide. Effrayé par le malheur qui venait d’arriver à sa famille, menacé par Maxime, il était obligé de ménager tout le monde. A Rome, on jugea le moment venu de renouveler la tentative qui avait été si mal accueillie l’année précédente[1]. Symmaque, qui était alors préfet de la ville, revint à Milan, et, cette fois, il put arriver jusqu’à l’empereur. Admis dans la salle du consistoire impérial, où siégeaient les conseillers ordinaires du prince, des magistrats, des généraux, il donna lecture d’un rapport

  1. Le hasard faisait qu’en ce moment les païens occupaient les plus hautes charges de l’état : Prætextat était consul désigné, Flavien préfet du prétoire d’Italie, Symmaque préfet de Rome. M. Seeck pense avec raison que cette circonstance put encourager le sénat à faire une nouvelle tentative auprès de l’empereur.