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(Relatio), que fort heureusement nous avons conservé dans le dixième livre de ses lettres, parmi les pièces officielles de son administration.


IV

Donnons de ce morceau célèbre une courte analyse, qui en fasse connaître les parties essentielles.

Symmaque ne perd pas son temps, comme il arrive dans les discours ordinaires, à de longs préambules. C’est à peine s’il rappelle en quelques mots l’injure que les méchans lui ont faite, sous le règne précédent, en contraignant l’empereur à ne pas le recevoir, « parce qu’ils savaient bien que, s’il avait pu se faire entendre, il aurait obtenu justice ; » puis il entre brusquement en matière : « Quel homme est assez l’ami des barbares pour ne pas regretter l’autel de la victoire ? Nous avons ordinairement une prévoyance inquiète qui nous fait éviter ce qui peut sembler d’un mauvais augure. Sachons au moins rendre au nom de la victoire l’hommage que nous refusons à sa divinité. Vous lui devez déjà beaucoup, princes[1] ; bientôt vous lui devrez davantage. Que ceux-là détestent sa puissance qui n’ont pas éprouvé son secours ; mais vous qu’elle a servis, ne renoncez pas à une protection qui vous promet des triomphes. Puisque tout le monde a besoin d’elle et la désire, pourquoi refuser de lui rendre un culte ? .. Où désormais prêterons-nous le serment d’être fidèles à vos lois et de nous conformer à votre parole ? Quelle crainte religieuse épouvantera l’âme perfide et l’empêchera de mentir quand on demandera son témoignage ? Je sais bien que tout est plein de Dieu, et qu’il n’y a pas d’asile sûr pour un parjure ; mais je sais aussi que rien ne retient une conscience prête à faiblir comme la présence d’un objet sacré. Cet autel est le garant de la concorde de tous et de la fidélité de chacun. »

Ce ne sont encore là que des raisons de sentiment, qui ne peuvent guère toucher un chrétien. L’argument véritable sur lequel l’orateur fonde son espérance, c’est que l’ancienne religion a pour elle l’autorité du passé et qu’elle est le culte des aïeux. Voilà pourquoi les conservateurs du sénat ont donné à Symmaque le mandat de la défendre. On croit les entendre parler quand il dit : « L’héritage qu’enfans nous avons reçu de nos pères, faites que, vieillards aujourd’hui, nous puissions le transmettre à nos enfans. » Le passé est tellement sacré pour eux qu’ils vont jusqu’à refuser aux

  1. Il était de règle, depuis Dioclétien, que, quoiqu’on ne parlât que devant un seul prince, on eût l’air de s’adresser à tous. Cette fiction permettait de croire que l’empire, quoique divisé entre plusieurs empereurs, n’avait pas perdu son unité.