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reprit promptement ses forces, afin qu’il pût suffire à la lourde besogne que les événemens lui préparaient.


VII

Harley et Saint-John n’attendaient pas avec moins d’impatience que Louis XIV le résultat des négociations de Madrid. En Angleterre, toute résistance semble brisée. La création opportune de quelques nouvelles pairies a conquis au gouvernement la majorité dans la chambre des lords. Décidément, la nation est fatiguée de la guerre. Le spectre d’un nouveau Charles-Quint étendant sa domination redoutable, aux yeux de l’Europe humiliée et tremblante, sur l’Autriche, l’Empire, l’Espagne et les Indes, hante l’imagination britannique. Au long discours par lequel Anne lui a exposé, le 17 juin, avec une légitime confiance, les avantages qu’elle était sûre d’obtenir pour son pays, les engagemens souscrits par Louis XIV et « les bienfaits abondans de la paix future, » la chambre des communes a répondu par des applaudissemens enthousiastes dont tous les échos retentissent encore, et qui sont, pour les ministres, des ordres péremptoires. Ceux-ci n’auraient plus qu’à leur obéir si, ratifiant la promesse de son aïeul, Philippe V renonçait au trône de France ou à celui d’Espagne. Mais on sait, à Londres, que le jeune monarque a fait dépendre son assentiment de conditions à peu près inadmissibles, et l’inquiétude qui agite les conseillers de fa reine commence à gagner le public. Le refus de Philippe trompera l’attente de toute la nation et la mettra dans la nécessité cruelle de continuer la guerre, car elle est bien résolue à ne pas souffrir que l’Espagne soit jamais réunie à la France ou à l’Autriche.

Sur le continent, la situation est extrêmement tendue. Le duc d’Ormond, qui commande en chef les forces britanniques depuis la disgrâce de Marlborough, a reçu des instructions équivoques et indécises qui l’exposent aux plus graves difficultés. Il a l’ordre de se tenir soigneusement sur la réserve, de ralentir autant qu’il le pourra les hostilités, d’éviter prudemment de combattre, à moins qu’il n’y voie un avantage apparent et considérable. Il est même autorisé à se mettre en relation, s’il le juge convenable et utile, avec le maréchal de Villars, entre les mains duquel Louis XIV a remis les suprêmes ressources de la France. Mais cet ordre et cette autorisation doivent rester, tant que les circonstances l’exigeront, absolument secrets. Jamais généralissime ne s’est trouvé dans une position plus gênée et plus fausse. Ses collègues le suspectent et le surveillent ; leurs émissaires accompagnent partout ses pas ; les regards profonds et soupçonneux du prince Eugène sont fixés sur