Le 1er février 1788, le Register parut sous le nom de Times. S’il devait mener son éditeur à la fortune, il le conduisit tout d’abord en prison. John Walter était un brave homme, ennemi de toute fraude et de toute intrigue, assez abrupt dans ses appréciations et profondément ignorant des égards dus aux puissans du jour. De ces qualités, comme de ces défauts, résulta pour lui une existence passablement mouvementée. Le Times ne comptait pas encore une année d’existence que son propriétaire était arrêté et traduit en justice pour avoir imprimé dans sa feuille que « la conduite du duc d’York, l’un des fils du roi, n’était pas pour plaire à Sa Majesté. »
John Walter avait raison ; il disait tout haut ce que chacun répétait tout bas ; aussi fut-il dûment convaincu d’erreur et condamné à 50 livres d’amende, une heure de pilori et un an d’emprisonnement, sans compter qu’il dût fournir caution de se mieux comporter pendant sept ans. Il paya l’amende, figura au pilori et fit son année de prison ; mais elle était à peine commencée, qu’il s’entendait condamner, par surcroît, à 200 livres d’amende et à une nouvelle année de prison pour avoir imprimé des choses désagréables au prince de Galles et au duc de Clarence, prenant le premier à partie pour ses excès de table, et reprochant au second d’avoir quitté son poste d’amiral sans autorisation. cette fois, il prit l’engagement formel de ne plus s’occuper de la famille royale, et, après seize mois de détention, fut remis en liberté.
Comme toujours, les condamnations encourues par l’éditeur faisaient la fortune du journal. Ses lecteurs se multipliaient, et John Walter, appréhendant de nouveaux séjours en prison, s’associait son fils aîné, lequel devait, par un coup d’audace, qui était en même temps un acte d’honnêteté, assurer au Times la première place dans la faveur du public. Imprimeur habile, en même temps qu’éditeur d’un journal, il était alors chargé des fournitures d’imprimés à l’administration des douanes et en tirait bon profit. En 1810, le hasard le mit sur la voie de fraudes importantes commises par des employés supérieurs de la marine au détriment du trésor public. Le Times, dans une série d’articles, dénonça ces agissemens avec preuves à l’appui et détails circonstanciés. L’émoi fut grand dans le haut personnel administratif, gravement compromis, et qui crut étouffer l’affaire en retirant à l’éditeur du journal la fourniture des imprimés de la douane. Ce procédé brutal et maladroit souleva l’opinion publique ; l’administration s’aperçut alors de la bévue commise, et, pour la réparer, elle se hâta d’en commettre une autre. On fit savoir à John Walter qu’il serait remis en possession de ses fonctions d’imprimeur des douanes à la condition de ne pas ébruiter dans sa feuille les abus dont il pourrait avoir