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finit par irriter ; aussi le monde est-il actuellement divisé en deux camps, celui des gens qui croient aux microbes, et celui des gens qui n’y croient pas. Ne pas croire aux microbes est d’ailleurs une opinion qui devient originale, qui dispense de discuter, et qui, en somme, est d’assez bon ton.

Ce serait cependant une singulière injustice que d’accuser ceux qui invoquent les microbes de déguiser leur ignorance ou leur embarras, comme on le faisait jadis en parlant des miasmes ou des effluves. Les miasmes, les effluves, c’était le quid ignotum auquel il fallait bien rapporter l’origine de nos maladies, — puisque tout effet doit avoir une cause, — mais ce n’étaient que des mots vides de sens, en dehors du sens général de cause, car personne n’avait vu, n’avait étudié ces êtres de raison ; tandis que les microbes sont des êtres bien réels, qui vivent, se nourrissent, se multiplient, que nous voyons, que nous manions, dont nous étudions, par l’observation et l’expérimentation, les conditions d’existence et les propriétés, et dont la notion correspond à un ensemble de connaissances scientifiques rigoureusement déterminées.

Ce que nous nous proposons ici, sans avoir la prétention de dire, même succinctement, tout ce qu’on sait des microbes, — il faudrait déjà pour cela un gros volume, — c’est de tracer à grandes lignes l’évolution de cette science nouvelle, créée presque de toutes pièces par notre illustre Pasteur ; montrer par quelles étapes successives elle a passé pour affirmer le rôle considérable que jouent les microbes dans deux ordres de faits d’importance biologique et sociale considérable, les fermentations et les maladies ; prouver enfin que la croyance aux microbes n’est plus, comme la foi aux miasmes ou autres influences occultes, affaire de sentiment, et qu’en somme on n’a plus le droit, aujourd’hui, de ne pas croire aux microbes.


I

A vrai dire, si le mot microbe date seulement de nos jours, l’idée qu’il représente pourrait être retrouvée, nettement formulée, il y a déjà plus de deux siècles. Il serait d’ailleurs exceptionnel, dans l’histoire de la science, qu’une telle conception fût sortie spontanément et tout entière du cerveau d’un grand homme, alors que les découvertes ne sont le plus souvent que la résultante du travail collectif de l’époque à laquelle appartiennent leurs auteurs, voire même de plusieurs générations antérieures. M. Pasteur a donc eu ses prédécesseurs, dont il est juste de rappeler les noms et les idées. Ainsi le père Kircher, jésuite d’un génie supérieur qui vivait au XVIIe siècle, grand savant d’ailleurs, s’était nettement exprimé sur