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dont une face regarde les pelouses du parc, tandis que l’autre surveille la grande artère populeuse d’Edgware road, où roulent les cabs et les omnibus, avec un bourdonnement infini et ininterrompu, de neuf heures à minuit. Assurément, on ne vient pas dans une pareille demeure pour méditer ; on ne se loge pas là quand on craint la rumeur populaire. C’est la maison d’un tribun, non celle d’un philosophe.

Suivons le jeune député de Woodstock à Westminster. Une majorité conservatrice, un peu « étonnée de s’y voir, » envahissait joyeusement les bancs ministériels, à droite du speaker, qui sont aux bancs de l’opposition ce qu’est, en hiver, le côté du soleil au côté de l’ombre, dans Pall-Mall. Sur le premier rang, dans une attitude un peu molle, légèrement voûté, le vieux Disraeli, ou, plus familièrement, Dizzy : une figure fine, pâle, fatiguée, aux plis profonds, glabre comme celle d’un acteur ; les yeux clos, à la manière des félins, sans qu’on puisse savoir s’il dort ou s’il guette ; sur son front ridé descend une bouclette roulée, reste d’une chevelure luxuriante. Ne vous moquez pas de cette boucle, historique comme la mèche de Girardin : c’est tout ce qui subsiste, en 1874, du byronisme et de l’âge des dandies.

Sur le banc qui fait face à Disraeli, on chercherait vainement son illustre rival. Le crâne d’ivoire poli, l’œil d’oiseau de mer, la grimace énigmatique de Gladstone, ont disparu de la chambre, ainsi que son mémorable parapluie vert et ces gros gants informes où il plongeait ses mains d’un seul coup. Partout on entend dire, même et surtout au Reform club : « Gladstone est usé, Gladstone est fini ; nous ne voulons plus de Gladstone ! » Déjà on parle de le déposer. Les lieutenans de cet Alexandre qu’on veut enterrer vivant se pressent sur le premier banc, Lowe, Forster, sir William Harcourt, et le marquis de Hartington, le dernier des whigs, ce grand seigneur qui fait de la politique d’un air dédaigneux et dégoûté, et qui sera choisi pour leader peut-être parce qu’il en a moins envie que les autres.

En réalité, Gladstone n’est ni usé ni fini ; sa popularité traverse une éclipse. Il n’est plus le people’s William, il n’est pas encore the grand old man. En moins de six ans, il a presque accompli une révolution. Il a supprimé l’église protestante officielle en Irlande ; il a remplacé le scrutin ouvert, dans les élections, par le scrutin secret ; il a inauguré l’enseignement primaire obligatoire. Après tant et de si grosses réformes, faites coup sur coup, le pays veut respirer. Sans le dire, on en veut à M. Gladstone de la nullité où il a laissé tomber l’Angleterre, au point de vue de la politique européenne. La guerre de 1870 lui a révélé qu’elle n’est, aux yeux de Berlin, qu’une puissance de second ordre, car il y a des neutralités