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se résigner à une sorte d’effacement assez peu glorieux. Ils gémissent peut-être sur les déficits croissans du budget, sur les désordres administratifs et les complicités révolutionnaires du gouvernement, sur les dangers de tout genre que le radicalisme prépare au pays. Ils sont pleins de bonne volonté, ils craignent toujours d’aller jusqu’au bout de leurs bonnes intentions, de paraître faire de l’opposition. Évidemment il y a des heures où les républicains modérés, avec plus de résolution, auraient pu avoir une action utile, peut-être décisive ; ils auraient sûrement trouvé un appui parmi beaucoup de conservateurs qui savent tout subordonner à un sérieux intérêt public. C’était possible, puisque cela a failli réussir il y a un an, sous le ministère Rouvier, à qui il avait suffi de parler un langage mesuré pour rendre la conciliation plus facile. Il est bien clair seulement que cette alliance des forces modérées, sans laquelle il n’y a pas de gouvernement possible, n’aurait pu ou ne pourrait jamais se réaliser avec profit pour le pays que dans des conditions de dignité mutuelle, par une politique d’apaisement moral, de réparation et de réorganisation financière. Les républicains modérés eux-mêmes ne peuvent s’y méprendre. Leur malheur est de ne pas savoir ce qu’ils veulent, de ne vouloir jamais qu’à moitié, ou plutôt de se sentir enchaînés par la solidarité de parti. Dans le fond, ils ont toujours peur de paraître suspects s’ils font quelque concession, d’être traités d’orléanistes !

Transiger avec les conservateurs, avoir l’air de respecter les vœux, les sentimens et les intérêts des trois millions et demi d’électeurs qu’ils représentent, y pensez-vous ? Ce serait trahir la république. Les républicains modérés ont la simplicité d’être ou de paraître dupes de ces sophismes, et plutôt que d’accepter une alliance sérieuse, librement débattue avec les conservateurs, ils préfèrent rester avec les radicaux, au risque de marcher à leur suite et de subir leur joug. Ils en sont encore là, aujourd’hui ; ils s’agitent dans l’impuissance, ne pouvant rien ni avec les conservateurs, qu’ils se sont aliénés, ni avec les radicaux, pour qui ils ont encore trop de modération. Oh ! sans doute, M. Jules Ferry, dans ses discours aux vosgiens, parlera, si l’on veut, de combattre le général Boulanger, de lui opposer des pouvoirs sérieux, la « stabilité gouvernementale, » de faire face aux entreprises des aventuriers. Soit ; et comment M. Jules Ferry l’entend-il ? qu’a-t-il à proposer ? Quel moyen a-t-il trouvé pour combattre ou détourner un mouvement créé par une fausse politique à laquelle il n’est pas lui-même étranger ? Il demande que le gouvernement gouverne, qu’il se décide enfin à faire sentir son action avec plus de fermeté, et ce ne serait point assurément de trop ; mais c’est parler à peu près pour ne rien dire. Que ferait-il lui-même pour rendre au gouvernement son autorité et sa force, pour rallier le pays aigri et mécontent ? Rechercherait-il la gloire de nouvelles expéditions lointaines ? recommencerait-il