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qui arrivera dans un avenir que personne ne peut calculer est inconnu ; mais, en attendant, il y a pour les conservateurs prévoyans désintéressés, quelque chose de plus urgent, de plus pratique, c’est de se prêter à ce qui est possible, de lutter ensemble contre une politique de faction, a contre ses passions, ses desseins subversifs, ses prétendues réformes, qui ne sont que des œuvres de destruction et de ruines. » C’est, s’il le faut, de « servir la république contre elle-même. » Le plus pressé, dût la république en profiter, M. Bocher l’a dit en sage, c’est de songer avant tout à la patrie, de servir avant tout la France, pour lui rendre un peu de liberté et de crédit dans les affaires toujours fort troublées du monde.

C’est en effet la fatalité de ce malheureux temps où nous vivons que la paix, une vraie paix, ne soit guère nulle part. Elle n’est pas, nous en convenons, dans les affaires intérieures de la France, et c’est notre faiblesse, quoique nos divisions intestines s’effacent toujours devant un grand intérêt extérieur, Elle n’est pas non plus dans les affaires de beaucoup d’autres pays, qui ont bien, eux aussi, leurs embarras, leurs difficultés, leurs crises intimes, Elle n’est pas surtout dans les affaires générales de l’Europe, de cette Europe qui est toujours sur le qui-vive comme elle est sous les armes, où les moindres incidens deviennent le prétexte de perpétuelles alertes, où il suffit d’une entrevue un peu bruyante, de l’humeur tapageuse et voyageuse d’un ministre pour mettre le monde dans l’attente de l’imprévu. On en a de temps à autre la preuve. Qu’est-il arrivé ces jours derniers encore ?

L’Europe, il faut l’avouer, vient de passer par une de ces phases d’inquiétude qui ressemblent à des paniques. Ce n’est pas que rien de sérieux et de précis apparût à la surface du continent. Les grandes questions qui peuvent devenir périlleuses semblaient pour le moins ajournées, La visite que l’empereur Guillaume II venait de faire au tsar dans son château de Péterhof était l’objet de bien des commentaires : on ne voyait pas qu’elle eût sensiblement modifié les rapports généraux, qu’elle eût surtout affaibli les chances de la paix. Entre les principales puissances on ne distinguait ni tension trop vive, ni menace de rupture prochaine. Une controverse diplomatique était engagée entre la France et l’Italie au sujet de Massaouah ; le bruit qu’on faisait semblait dépasser la mesure d’une affaire qui n’avait visiblement qu’une importance factice. A part les difficultés d’une situation générale toujours laborieuse qui dure depuis longtemps, tout paraissait en vérité assez calme pour le moment, lorsque le ministre le plus affairé, le plus agité de l’Europe, M. Grispi, est parti presque à l’improviste, à demi furtivement, pour Friedrichsruhe, Puis, au retour, en courant, le ministre du roi Humbert a rencontré aussi le comte Kalnoky à Eger. Quel pouvait être l’objet de ces entrevues mystérieuses ? Qu’allait faire M. Crispi à Friedrichsruhe ? Qu’avait-il à traiter ou à