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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/299

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prend de très haut : « Je vis, disent les mémoires, un prodige qui me combla d’embarras et me couvrit de confusion. M. de Beauvilliers résuma en peu de mois le débat, puis, tout d’un coup, cet homme si mesuré, si sage, si accoutumé à n’être qu’un en sentiment et en tout avec le duc de Chevreuse et à lui déférer, se changea en un autre homme. Il rougit et parut avoir peine à se contenir,.. et de là… il tomba sur son beau-frère comme un faucon ; il le traita comme un régent fait d’un jeune écolier qui apporte un thème plein des plus grands solécismes… M. de Chevreuse, petit comme l’écolier devant son maître, embarrassé, confus, acquiesça tout court. M. de Noailles, étourdi,.. demeura muet. » On vote, et l’avis de Saint-Simon passe à l’unanimité.

On peut bien croire qu’il eut le triomphe assez superbe, la modestie étant la moindre de ses qualités. Mais ce triomphe fut éphémère. Convaincre le duc de Chevreuse, battre, humilier le duc de Noailles, obtenir, en faveur du système si longuement développé par « le mémoire succinct, » l’adhésion unanime de ses collègues, c’était sans doute bien flatteur, bien honorable, bien beau ; la cause cependant n’était pas gagnée, le succès restait absolument indécis, tant que le roi persisterait dans son opinion. En vain faisait-on valoir, devant lui, les méfiances des Anglais, qui n’ignoraient point le cas qu’on tenait, soit en France, soit en Espagne, des renonciations, des paroles royales, des conventions diplomatiques, fussent-elles consacrées par les formalités officielles de l’enregistrement, leurs exigences qui ne seraient point satisfaites sans la réunion des États-généraux, la nécessité absolue de la paix, qui ne serait jamais conclue si on ne déférait point à ces exigences, l’exemple des cortès d’Espagne ratifiant les décisions de Philippe V, les prérogatives imprescriptibles de la pairie démontrées par l’histoire elle-même, consacrées par les cérémonies figuratives du sacre. Il n’entendait pas que, dans une circonstance aussi solennelle, la plénitude de son pouvoir royal pût être mise en doute ; « le soupçon d’une autorité confirmative de la sienne le hérissait[1]. « Il admettait bien que les renonciations fussent enregistrées, parce qu’elles devaient être insérées dans les conventions que l’on négociait à Utrecht, et que l’enregistrement des traités était une des coutumes du royaume ; que les ducs d’Orléans et de Berry assistassent à la séance de l’enregistrement, parce qu’ils étaient directement intéressés dans la question ; que les ducs et pairs, eux-mêmes, y fussent présens pour rehausser l’éclat de la cérémonie et parce qu’il fallait donner, dans la forme au moins, une satisfaction quelconque à l’Angleterre ; mais

  1. Saint-Simon.