Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de faîte, qui, malgré des variations passagères, n’en domine pas moins l’horizon.

Music is the food of love, la musique est l’aliment de l’amour, a dit Shakspeare. « Langue que pour l’amour inventa le génie, » a dit Musset. Avec moins de poésie et plus de finesse, Berlioz a remarqué que, si l’amour ne pouvait donner aucune idée dis la musique, la musique, au contraire, pouvait donner une certaine idée de l’amour. Oui, sans doute, une idée de l’amour, et même des idées d’amour ; elle exprime l’amour, et l’inspire.

Il n’est pas étonnant que l’amour tienne dans la musique plus de place que dans les autres arts. d’abord la peinture, la sculpture, l’architecture, savent exprimer des idées et des faits. La musique, non pas ; les sentimens seuls sont de son domaine, et, de tous les sentimens, le premier, à l’ancienneté comme au choix, c’est l’amour. De plus, les sons produisent sur les nerfs un effet spécial que ne produisent ni les formes ni les couleurs, et la musique est de la sorte à la fois conseillère et interprète d’amour.

Mais, si l’amour tient dans la musique une grande place, la première peut-être, il n’y tient pas toute la place. Il faut ici, comme dans nos études antérieures, laisser de côté la musique purement instrumentale. Elle est trop vague ; elle peut et même elle doit trop se passer de sujet, pour qu’on suive dans son histoire l’histoire d’un sentiment. Elle ne sait guère exprimer avec précision que la joie et la tristesse, et fixe difficilement les nuances intermédiaires entre ces deux pôles de la sensibilité. Nous devons donc restreindre notre étude à la musique chantée, sans même l’étendre à tout ce domaine. d’abord il y a des œuvres, des chefs-d’œuvre, où manque l’amour, où du moins il ne joue qu’un rôle secondaire : le Freischütz, Guillaume Tell, le Prophète. Ces œuvres sont des exceptions, je le sais, et le répertoire de la musique lyrique ou dramatique est en somme un répertoire d’amour. On risquerait de s’y perdre, si l’on ne se contentait d’y fixer seulement quelques points de repère. Ainsi ferons-nous, et dans le cours de cette étude nous ne nous arrêterons que sur les sommets.


I

Si l’on veut trouver en musique les premiers accens d’amour, on peut ouvrir un recueil de vieux airs italiens : Arie antiche, raccolte da Parisotti[1]. Tous chants d’amour, presque tous chastes et douloureux. La musique était trop jeune aux XVIIe et XVIIIe siècles

  1. Chez Ricordi à Milan ; à Paris, chez Durdilly.