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tapisserie, un peu comme Versailles, mais un paysage enfin, invitant à de molles amours.

Dès le début, la passion obsède Armide ; elle a reçu le coup de foudre. Vainement on lui parle de ses triomphes, à la belle magicienne, toujours aimée, jamais aimante ; une idée fixe l’assiège : Renaud, Renaud invaincu, mais non pas invincible ; car, dit-elle en une phrase charmante, il est dans l’âge aimable où sans effort on aime. Mais Renaud a délivré les captifs d’Armide ; Renaud veut partir, comme Hippolyte ou Bajazet, comme un de ces purs éphèbes prompts à se dérober devant les Phèdre ou les Roxane, ces furies d’amour que créait le doux Racine ; Armide est un peu de leur famille. En appelant contre Renaud qui l’a outragée les esprits de haine et de rage, elle se ment à elle-même, et la musique le montre bien dans ce duo, quand vient la phrase : Démons affreux, cachez-vous sous une agréable image. Malgré elle, Armide dévoue son superbe ennemi, non pas aux démons, aux fantômes hideux, mais aux visions enchanteresses. Renaud trouvera dans les bosquets magiques, au lieu de l’horreur et de l’effroi, des ruisseaux, des fleurs et des chansons d’amour, celle de la Naïade, par exemple : On s’étonnerait moins que la saison nouvelle, une des mélodies les plus caressantes de Gluck, délicieuse invite à aimer, à aimer pour aimer, seulement parce que l’herbe pousse, que l’eau murmure et que c’est le printemps.

Renaud sommeille ; Armide approche de lui, le poignard levé, respirant la vengeance. Elle le regarde, et sa colère se fond en amour. Cette détente d’une âme féminine est rendue à merveille par des récitatifs nuancés, changeons, par l’air attendri : Ah ! quelle cruauté de lui ravir le jour, avec sa péroraison aérienne, où l’accompagnement voltige au gré des zéphirs éveillés par Armide.

Le troisième acte est de beaucoup le plus beau. C’est là que la passion a le plus d’éloquence. L’acte tout entier marche d’un seul élan. Il commence par l’air fameux : Ah ! si la liberté me doit être ravie, Est-ce à toi d’être mon vainqueur ? Armide est calme encore. Elle médite seulement ; elle s’examine elle-même, et de plus en plus elle a peur d’aimer. Mille nuances délicates se devinent ici. Dans la phrase : Comment as-tu changé ma colère en langueur ? Dans cette autre : Se peut-il que Renaud tienne Armide asservie ? quelle indignation à la fois et quel ravissement ! quelle honte délicieuse ! La reprise même, le da capo fait bien ; redite avec plus de mollesse, la phrase du début montre Armide vaincue, à bout de force. À un petit conciliabule d’Armide avec ses confidens succèdent d’admirables récits : Il m’aime ! Quel amour !