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une minute d’apaisement, un court répit où revient le lied du printemps alangui par un changement de rythme, enfin un dernier éclat, et les deux amans s’élancent dans la forêt.

Voilà de grandes beautés ; mais quelques défauts les gâtent. Plus on entend ce duo, plus on y sent l’excès et l’outrance : excès de sonorités, excès des procédés habituels, du leitmotiv, et des cadences évitées, et des résolutions suspendues. Trop souvent la musique de Wagner est dans un perpétuel devenir, dans l’in fieri, comme le dieu dont M. Renan nous a un jour entretenus. Trop souvent, on l’a dit, elle ne commence pas, elle ne finit pas ; elle dure. On croit une phrase près de s’achever ; par une modulation inattendue, elle recommence. Cela plaît une fois, plusieurs fois ; mais à la longue cela irrite. Prenons, par exemple, le lied du printemps. Au moment de conclure, il se dérobe, et avec une grâce charmante il entraîne la mélodie dans une tonalité nouvelle. Mais peu après l’effet se reproduit : même détour, même feinte et toujours ainsi. Cette fuite constante finit par rebuter l’oreille et l’esprit. Autre reproche, et plus grave : certain leitmotiv très court, composé de trois ou quatre notes seulement, exprime très heureusement l’insinuation de l’amour dans le cœur de Siegmund et de Sieglinde ; mais ce motif, travaillé de mille manières, d’abord très faible, puis plus hardi, enfin victorieux, revient avec une ténacité presque odieuse. d’abord on est charmé, puis un peu agacé, enfin exaspéré par cette implacable formule qui vous étreint et vous tenaille. C’est elle qui peut-être donne le plus au duo le caractère de violence, de frénésie, répétons-le, d’hystérie, que nous lui avons déjà reproché.

C’est bien autre chose dans Tristan, dans Tristan, la partition d’amour par excellence, la plus aimée des vrais admirateurs du maître ; Tristan, l’œuvre type, plus conforme encore que l’Anneau du Nibelung à l’idéal de Wagner.

Si nous nous reportons aux notes par nous prises à Bayreuth, pendant les représentations de Tristan et Yseult, dans l’obscurité du théâtre, nous retrouvons des pages labourées d’une écriture inégale, de lettres énormes ou microscopiques, témoignant tour à tour de l’admiration et de l’ennui, de l’enthousiasme et de la colère ; le désordre des annotations correspond au désordre des impressions ressenties. On se souvient d’une œuvre étrange, presque monstrueuse, où le beau et le laid se heurtent, se combattent comme dans le monde des manichéens. La Valkyrie fatigue, mais Tristan écrase. On demande merci. Et cela pour avoir pendant trois ou quatre heures entendu parler d’amour, ou plutôt chanter d’amour. Quel amour est donc celui-là ! Je n’en connais pas de plus terrible,