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conseil a opiné du bonnet, en fermant un peu volontairement les yeux, et on l’a entraîné à dépenser 20 millions de plus que ses prévisions. Il y a eu là des scènes de haute comédie, chacun cherchant à se laver les mains, maugréant pour la forme contre l’administration ou le jury. La Bourse du commerce n’était qu’un prétexte ; les intéressés apparens ne s’en souciaient point.

La Bourse du travail paraît destinée à produire le même vide dans les caisses de la ville, et son résultat le plus clair a été jusqu’ici la députation pour M. Mesureur, rapporteur de l’affaire. Ce dernier a pris soin de nous avertir que la salle des réunions devrait contenir deux mille personnes, qu’il faut aménager cent quatre-vingts bureaux et « édifier un hall destiné à remplacer les grèves actuelles. » D’aucuns craignent qu’on n’y fasse plus de politique que d’affaires, qu’on n’y organise surtout des grèves colossales, avec le lock out et autres moyens de propagande scientifique. Cens de peu de foi, écoutez les commentaires des citoyens Cattiaux et Joffrin : « Les ouvriers ne comprendront pas qu’on s’amuse à discuter des questions financières quand il s’agit de leur donner satisfaction… C’est une révolution sociale qui se prépare. Vous croyez que les ouvriers vous feront crédit ? On le disait aussi en 1848, et nous avons eu la guerre civile. » Ces citoyens s’entendent fort bien à jouer du spectre rouge. La Bourse est votée, et on la paiera sur les fonds du dernier emprunt.

Ils ont aussi voulu avoir un théâtre municipal, mais je ne sais quelle mystérieuse fatalité a rejeté dans le néant les plus beaux projets, malgré de pompeux rapports où on lit ces tirades irrésistibles : « Est-il bon, est-il désirable que nous offrions au peuple de Paris un théâtre à prix modestes ? Nous avons répondu oui unanimement. Il faut que ce théâtre soit populaire par le prix des places, par le ton et l’esprit qui régneront ; scène vraiment parisienne et française ; école de patriotisme et d’histoire, dont la fondation rentrait naturellement dans votre mandat et faisait partie de vos devoirs envers le suffrage universel parisien… Vous affirmerez la tradition constante de ce conseil, et vous serez d’accord avec les exemples de l’antiquité, non moins qu’avec ceux de la révolution. » On ne reprochera point à la municipalité de ne pas songer à amuser ses peuples. Il en est des socialistes prolétaires comme de ce mendiant qui avait remarqué que, tant qu’il restait à jeun, son logis lui semblait une misérable hutte, sa femme un sordide paquet de haillons, son enfant un être malingre et affamé ; mais aussitôt qu’il avait bu quelques verres d’eau-de-vie, toute cette détresse se métamorphosait : la cabane devenait palais, la femme une vénus, l’enfant un Amour gras, Irais et rose. Quand on lui reprochait le