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titre, je tombe dans l’erreur reprochée au prince[1] qui, revenant de l’exil, déclara nul et non avenu tout ce qui s’était fait pendant son absence ? Loin de moi un semblable égarement. Non-seulement je reconnais les gouvernemens qui m’ont précédé, mais j’hérite en quelque sorte de ce qu’ils ont fait de bien ou de beau, car les gouvernemens qui se succèdent sont, malgré leurs origines différentes, solidaires de leurs devanciers.

« Mais plus j’accepte tout ce que, depuis cinquante ans, l’histoire nous transmet avec son inflexible autorité, moins il m’était permis de passer sous silence le règne glorieux du chef de ma famille et le titre régulier, quoique éphémère, de son fils, que les chambres proclamèrent dans le dernier élan du patriotisme vaincu.

« Ainsi donc, le titre de Napoléon III n’est pas une de ces prétentions dynastiques et surannées qui semblent une insulte au bon sens et à la réalité. C’est l’hommage rendu à un gouvernement qui fut légitime, et auquel nous devons les plus belles pages de notre histoire moderne. Mon règne ne date pas de 1815, il date de ce moment même où vous venez me faire connaître le suffrage de la nation. »

C’était un beau langage. « L’empereur, a dit George Sand, avait les éclairs d’un génie plutôt littéraire que philosophique et plutôt philosophique que politique. » Rien ne manquait à son discours, ni l’éloquence ni l’habileté ; il flattait l’amour-propre national sans blesser l’étranger ; il donnait à l’Europe, dans la forme la plus heureuse, en termes qui n’engageaient à rien, les garanties morales, sinon contractuelles, qu’elle réclamait.

Les Tuileries, si longtemps silencieuses, allaient retrouver un hôte ; déjà le drapeau tricolore flottait sur le pavillon de l’Horloge. Le 2 décembre, au matin, une salve de cent un coups de canon, tirée aux Invalides, annonçait à Paris l’inauguration de l’empire ; la chaîne des temps, semblait se renouer et relier 1804 à 1852 ; si quelque chose pouvait donner la mesure de l’inanité des prévisions humaines, c’était assurément la rentrée, dans le palais des rois de. France, d’une dynastie emportée par l’invasion et frappée de déchéance perpétuelle par l’Europe coalisée.


G. ROTHAN.

  1. L’empereur faisait allusion à l’électeur de Hesse, qui prétendait avoir dormi pendant son exil, et aussi à Louis XVIII, qui déclarait ne pas reconnaître les gouvernemens qui s’étaient succédé, en France depuis 1793.