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l’approbation du roi et de ses ministres, qui seuls peuvent décider sur l’exécution de ce qui est convenu entre nous trois. Quant à moi, je ne puis que rendre compte de ce qui s’est passé et t’envoyer en France pour y attendre les ordres du roi. » L’émir baissa la tête, réfléchit un moment et répondit : « Que la volonté de Dieu soit faite ! Je me confie à toi. » Puis, faisant un retour sur le passé, il parla de la prise de la Smala, et demanda au prince quelques éclaircissemens sur les incidens de cette journée fameuse. Le prince lui ayant adressé quelques questions à son tour, notamment au sujet d’une fusillade nocturne dirigée sur le campement français au retour de Taguine : « J’étais là en personne, répondit Abd-el-Kader ; je t’ai guetté, tâté pendant vingt-quatre heures, » et, sans basse flatterie, il lui fit compliment de son activité comme de sa vigilance ; après quoi, comme il était harassé de fatigue, il demanda la permission de se retirer ; avant de sortir, il sollicita la grâce de n’être débarqué nulle part sur la terre algérienne. Le duc d’Aumale y consentit, mais il dit à l’émir qu’il devait se représenter le lendemain matin devant lui, et lui amener le cheval de gâda comme témoignage de sa soumission entière au roi et à la France. Abd-el-Kader feignit d’être un peu surpris d’abord ; puis, après avoir échangé un regard avec La Moricière, il répondit : « Je t’amènerai demain ma bonne jument ; — et avec un triste sourire : — c’est la dernière qui me reste. »

La cérémonie eut lieu le lendemain, dans le petit jardin du commandant de place, entre le rocher et la mer. Abd-el-Kader vint seul, à pied, vêtu comme un simple Hachem, jambes nues, babouches jaunes, haïk tout uni, burnous brun ; deux serviteurs conduisaient le cheval. La Moricière, Cavaignac, un nombreux état-major, une foule d’indigènes assistaient à la scène, qui, presque sans paroles, fut grande et dramatique. Plusieurs des chefs arabes, rattachés à la cause française, ne cachaient pas leur émotion profonde.

Le 24 décembre, dans l’après-midi, le duc d’Aumale, La Moricière et l’émir s’embarquèrent sur le Solon. « A son arrivée à Mers-el-Kebir, au milieu de la nuit, a dit le général de Martimprey dans ses mémoires, La Moricière m’envoya l’ordre de me rendre de grand matin auprès de lui. Lorsque j’arrivai à bord, le général me sauta au cou, et nous nous tînmes embrassés quelques instans ; puis il me conduisit auprès de l’émir et me mit à sa disposition. Abd-el-Kader me demanda de faire venir un médecin pour panser un léger coup de feu qu’il avait reçu à la jambe, s’informa de mon nom, du temps que j’avais passé en Afrique. Je lui dis que j’y étais depuis 1835, que j’avais débuté par l’expédition de Mascara, après la Macta ; que j’étais avec le général Bugeaud, à leur entrevue du Fid-el-Atach, pour la paix de la Tafna. Le souvenir de cette