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abondent, où des hommes nus cultivent, avec des animaux énormes, des terres d’une richesse incroyable.

Ce qui ajoute à l’intérêt qu’on peut éprouver à regarder un pays dont la configuration est bizarre, c’est qu’il est habité par les races les plus diverses, que l’on croit que nous-mêmes y avons encore des arrière-petits-cousins, et qu’il court l’opinion parmi les hommes de science que les premiers des humains ont ressenti dans ce pays leurs premiers besoins, leurs premières impressions, et que de là sont partis pour l’Occident nos arrière-grands-pères emportant en leur cervelle une certaine faculté de langage, des croyances, des aptitudes qu’ils ont semées chemin faisant et qu’on pourrait suivre à la trace pour ainsi dire à travers le monde.

Ajoutez que l’Asie centrale a un passé des plus glorieux ; nous entendons par là qu’elle a été traversée par le conquérant le plus illustre de l’antiquité, par le plus grand des Mogols, qu’elle a donné le jour à un boiteux terrible qui fit trembler l’Europe. Il était intéressant de voir la disposition de l’arène où de tels guerriers avaient évolué, et de suivre la piste de leurs armées ; il était intéressant d’examiner ce qu’il restait de leur œuvre et ce qu’étaient devenus les ouvriers avec lesquels ils avaient exécuté de si grandes choses.

En allant voir ce qu’il restait du passé en Asie et ce qu’étaient devenus les auteurs de grandes choses, nous avons eu le spectacle de deux peuples occupés à une œuvre grandiose.

Nous avons vu des villes naître, grandir en quelques semaines, se peupler en un clin d’œil ; une voie ferrée construite avec des peines inouïes sous un climat terrible, et tracée dans le désert avec une rapidité telle, qu’on la voyait s’allonger et arriver sur les cités presque aussi aisément qu’une rivière rendue à son ancien lit reprendrait son cours habituel.

Puis, c’étaient des vaincus de la veille, enrégimentés et menés au combat par leurs vainqueurs contre des ennemis héréditaires, versant leur sueur après le sang, pour aider leurs maîtres à créer plus vite cette route qui allait lier les conquêtes anciennes aux nouvelles. Et les vaincus traités d’abord avec une vigueur inexorable, puis avec bonté, s’étonnant de trouver si doux le contact des nouveau-venus, se rassurant sur l’avenir et oubliant leurs défaites ; assemblés par milliers un jour de fête, ils mêlaient leurs cris « d’Allah ! » aux « hurrahs » de ceux qu’ils avaient sabrés et qui maintenant leur tendaient la main.

Dans les anciennes conquêtes, nous trouvions de grandes villes peuplées par les émigrans de la race des vainqueurs, des gens du Volga, du Dnieper cultivant des terres, chantant dans des villages