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présentation et que vous tirerez là où chez nous on tire ses cartes de visite. Nos semblables sont généralement mal élevés.

Aussi toutes nos armes sont mises en état, notre provision de cartouches est considérable. Menas et Rachmed aiguisent leurs sabres. Nous nous préparons à la guerre, afin d’avoir la paix.

Mais il faudra payer les achats que nous pourrons faire ou les services qu’on nous pourra rendre. Quelle monnaie est préférable ? Laquelle a cours ? Les sauvages se soucient peu d’une pièce d’argent dont ils ne connaissent pas toujours exactement la valeur et qu’ils n’ont pas l’occasion d’échanger contre des marchandises ou des objets de première nécessité. Ils préfèrent être payés en nature. Nous emportons des khalats du Turkestan de qualité plus ou moins bonne, nous augmentons un peu la provision de thé et de sucre ; un morceau qu’on donne à propos ouvre les cœurs, les Kirghiz en sont friands et ils l’acceptent volontiers en échange : ils demandent quelquefois le thé et toujours le sucre. Nous les paierons aussi avec du sel cristallisé que nous prendrons à Osch ; avec de la poudre, du plomb, quoique Rachmed prétende que « jamais on ne doit donner de la poudre à celui qu’on ne connaît pas, parce que l’on risque de donner à un ennemi le moyen de vous tuer… »

A Osch, nous achèterons de la toile de coton fabriquée à Kachgar et ayant sur chaque pièce le cachet de la douane chinoise. C’est la meilleure monnaie. A défaut de toile, les gens de l’Indou-Kouch et les gens du Pamir et du Wakhan acceptent, paraît-il, volontiers les lingots d’argent appelés iamba, marqués également du cachet chinois. Ils ont la forme d’une calotte de sphère, pèsent 1 livre, 2 livres ou plus ; on les taille ainsi qu’on ferait de bâtons de réglisse, à mesure qu’on paie ses dettes ; on pèse dans une balance les miettes et les morceaux, et on verse la somme due… dans le pan de la robe du créancier. Ils échangent cet argent aux bazars contre des marchandises ou en font des bijoux, ce qui est une façon de placer son argent et d’avoir un livret de caisse d’épargne ou des titres au porteur dans un pays où banques et bourses sont inconnues.

Nous supposons que tout ira très mal, que, jusqu’à ce que nous soyons sur le Pamir, au-delà du Kizil-Art, nous aurons des obstacles presque insurmontables. Plus loin, les dilTicultés seront moindres ; je parle de celles qui nous viendront de la neige. En effet, on nous dit qu’il n’y a « pas de neige » sur le Pamir. On l’affirme. En mettant les choses au pis, il y en aura peut-être par place, mais jamais assez pour nous arrêter. Sur l’Alaï, on nous dit qu’il y en a « peu, » mettons « beaucoup. » Le plus grand effort physique sera