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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/624

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Le 24 mars, à huit heures du matin, — 20 degrés. Les Kirghiz qui nous ont volé de l’orge ont fui à la faveur de l’obscurité, hier. Les Kirghiz qui nous ont bien servis seront renvoyés ce soir avec une bonne récompense et après un bon repas. Nous les employons tout le jour à ramasser de la bouse de bétail et à arracher à coups de pioche des racines qui nous servent à faire du feu. Nous leur en faisons remplir des sacs, Satti-Koul nous ayant prévenus que plus loin nous ne trouverions rien pendant plusieurs jours. Il appelle ces racines kiskennes.

Nous avons un bon campement, et il est moins chaud au soleil qui n’est pas réverbéré par la neige, enlevée heureusement par le vent. À midi, nous avons 4 degrés de froid à l’ombre et seulement 10 de chaleur au soleil.

Dans l’après-midi, nous voyons passer des oiseaux, des alouettes, des étourneaux qui volent au fil du vent de sud-ouest. Ils s’abattent, puis repartent. Nous avons la visite d’un petit chardonneret naïf ou affamé qui vient mendier quelques miettes à l’entrée de notre tente. Nous l’accueillons avec une réelle cordialité. Pendant une heure, nous nous égayons de ses mines, de son aplomb, de ses hésitations ; il s’approche à portée de la main. Dès qu’il a chassé sa faim, il lance un ou deux pituit d’adieu et s’envole. Bon voyage, petit !

Au-dessus de nos têtes passent, très haut, des oiseaux qui poussent des cris que nous n’avons jamais entendus.

Nous allons camper au sud-est du Kara-Koul, ou les chevaux trouveront un peu d’herbe. Nos hommes ont beaucoup de travail pour diviser les iouks et les charger. Il faut faire des ballots selon la force des chevaux, les bien placer en équilibre ; on ne réussit pas du premier coup.

Pépin essaie de faire une aquarelle d’un lagopède tué dans la journée, mais cela est impossible ; bien qu’il se serve d’eau chaude, son papier se couvre de glace là où porte l’ombre de sa main.

Nous mettons nos chevaux à ban, après les avoir entravés afin qu’ils ne s’écartent pas trop, et nous les surveillons aussi bien que l’horizon : la trace nous préoccupe. Sadik s’en va en reconnaissance.

Cependant Satti-Koul nous conte qu’il a vécu huit ans au Kara-Koul en été, et qu’une de ses sœurs est mariée à un Kirghiz du Rang-Koul. Je lui demande ce qu’il pense de la trace que nous avons vue aujourd’hui et ce que cet homme peut bien venir faire ici.

— Je ne sais pas, répond-il.

Satti-Koul aime à garder le silence.