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notamment à Malthus et à Ricardo, de fournir des définitions plus affirmatives et compréhensives, d’où les socialistes ont pu à leur tour tirer la soi-disant loi d’airain. En réalité, cette prétendue loi n’est pas issue d’une théorie unique : elle est née de la combinaison de plusieurs formules, parmi lesquelles il suffira de citer celle du fonds des salaires, dont la théorie a été exposée avec beaucoup de netteté par Mac-Culloch et Stuart Mill, et celle de l’accroissement de la population, qui a rendu célèbre le nom de Malthus. Ricardo a confondu les deux théories dans une formule concise, que les socialistes ont souvent invoquée, et qui conclut à l’abaissement progressif et fatal des salaires « dans la marche naturelle des sociétés (on verra ce que Ricardo entend par ce mot), et en tant qu’ils sont réglés par l’offre et la demande. »

La loi du fonds des salaires, telle qu’on en retrouve la définition dans Mac-Culloch et Stuart Mill, est celle qui établit que les salaires du travail doivent être prélevés sur une portion du capital national, qui, pour une période donnée, représente une somme fixe, un fonds invariable, contenu entre deux barrières rigoureuses. Cette somme globale, distraite de la somme des capitaux circulans, existant à une époque déterminée, a pour destination exclusive la rémunération des travailleurs et doit être répartie entre eux. Tous les efforts pour en accroître la grandeur, tentés par les ouvriers, sont stériles ; le seul résultat du surcroît de rétribution que recevraient les uns serait la diminution de la quote-part des autres. « Si la loi ou l’opinion, dit Stuart Mill, réussissent à fixer le salaire de certains ouvriers au-dessus du taux qui résulte de la proportion entre la somme des capitaux et le nombre des ouvriers, il faut qu’ailleurs d’autres ouvriers chôment. » Par contre, les capitalistes s’efforceraient vainement de retenir une part du wages-fund ; ce qui serait retiré à une classe de travailleurs reviendrait à une autre catégorie[1].

La conséquence de cette théorie est, on le voit aisément, et Stuart Mill y a longuement insisté, que l’unique moyen d’élever la rémunération individuelle des travailleurs devra consister, soit à restreindre

  1. Stuart Mill formule ainsi cette théorie : « Le wages-fund doit être considéré à un moment donné comme un total fixe. La classe des salariés ne peut pas se partager plus que le susdit total ; elle ne peut pas recevoir moins que ce même total. En conséquence, la somme à partager étant fixe, les salaires individuels dépendent uniquement de dividende, c’est-à-dire du nombre des copartageans. » Buckle signale comme « un des grands faits qui ont marqué la fin du XVIIIe siècle » la démonstration décisive qui a été produite, que la rémunération du travail dépend uniquement de deux causes ; la grandeur du fonds sur lequel le travail est payé et le nombre des travailleurs entre lesquels il se divise.