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le nombre des bras qui offrent le travail et vivent sur le fonds des salaires, soit à augmenter le capital destiné à constituer ce même fonds ; tout progrès durable des classes laborieuses sera subordonné à l’une ou l’autre de ces conditions. Mais ici interviennent les lois de Malthus touchant l’accroissement de la population, et les théories relatives à la productivité décroissante des terres, théories d’où, jusqu’à une époque récente, l’école anglaise a tiré toute sorte de corollaires[1]. Si ces lois et ces théories sont exactes, elles devront singulièrement restreindre, ou du moins faire dépendre d’exigences malaisées à réaliser, les chances d’amélioration du sort des classes ouvrières. Supposons, en effet, démontrées les règles que Malthus applique à la propagation de l’espèce humaine, lorsqu’elle n’est pas contenue par des entraves restrictives, « préventives ou répressives. » D’après la formule bien connue du célèbre pasteur, la population, on le sait, tend toujours, non-seulement à se proportionner à la somme des subsistances disponibles, mais à dépasser très rapidement cette somme ; d’un autre côté, selon la théorie du diminishing return, la productivité agricole doit toujours s’abaisser à mesure que l’homme épuise la fertilité naturelle du sol. Ces deux lois étant admises, il est évident que, d’une part, parmi les populations industrielles, le nombre des bras concurrens sera sans cesse poussé à s’accroître, puisque tout progrès passager dans les salaires activera les naissances, ou prolongera la vie moyenne des travailleurs existans ; et, d’autre part, le capital destiné à se transformer en salaires, et provenant de l’épargne faite sur des subsistances de moins en moins suffisantes, ne grandira pas proportionnellement au nombre des bouches à nourrir. C’est ce que résume cette formule de Ricardo, qui a été longtemps admise comme irréfutable par certains théoriciens, et invoquée par les ennemis de l’école orthodoxe à l’appui de l’épithète de science sinistre, dismal science, dont ils stigmatisaient l’économie politique classique : « Dans la marche naturelle des sociétés, les salaires tendent à baisser en tant qu’ils seront réglés par l’offre et la demande ; car le nombre des ouvriers continuera à s’accroître dans une progression un peu plus rapide que celle de la demande (des bras)… Mais le prix des salaires tient aussi à celui des denrées que l’ouvrier a besoin d’acheter (pour subsister)… À mesure que la population augmente, ces denrées

  1. Voir, notamment, sur la loi désignée en anglais sous le nom de diminishing return, Stuart Mill, Principes d’économie politique, t. I, ch. XII : « C’est la loi de production de la terre, que, dans un état quelconque de l’habileté et des connaissances agricoles, l’augmentation du travail n’amène pas une augmentation du produit au même degré : doubler le travail ne double pas le produit… Cette loi générale de l’industrie agricole est la proposition la plus importante de l’économie politique. »