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du terrain, nous étions répartis de manière à frapper partout, au moment où toute l’armée savait la guerre et connaissait parfaitement le pays. Malgré tous ces désavantages, Bou-Maza nous a donné pendant longtemps de très grands embarras sur les deux rives du Chélif. Notre action contre lui a dû être très active pendant près de deux ans. S’il n’a pas eu le génie organisateur d’Abd-el-Kader, il s’est montré plus audacieux dans les entreprises, plus intrépide dans le combat, » Conduit à Paris par le capitaine Richard, chef du bureau arabe d’Orléansville, Bou-Maza y devint, comme on disait en ce temps-là, le lion du jour.

Six semaines avant qu’il se rendit au colonel de Saint-Arnaud, un autre grand chef, un des meilleurs khalifas d’Abd-el-Kader, Ben-Salem, avait fait sa soumission entre les mains du maréchal Bugeaud lui-même. Le maréchal était venu visiter le nouvel établissement d’Aumale. Le 27 février, Ben-Salem, escorté de Bou-Chareb, du frère de Bel-Kassem, de plus de 100 chefs des revers nord, sud et ouest du Djurdjura, se présenta devant lui. L’entrevue fut solennelle et digne de l’un et de l’autre. L’ancien khalifa d’Abd-el-Kader refusa noblement de reprendre sa dignité au nom de la France ; il dit que tout son désir était de se retirer avec Bou-Chareb à La Mecque. Cependant, sur l’invitation du maréchal, qui lui rendait tous ses biens séquestrés et l’autorisait à vivre en toute sécurité dans le pays, il consentit à demeurer et même à prêter à l’autorité française le concours de sa puissante influence.

D’après ses conseils, deux grands chefs indigènes, deux bachaghas, furent institués par le maréchal, Bel-Kassem et Si-Omar, frère de Ben-Salem ; tous les deux, l’un au nord, l’autre au sud, prenaient la responsabilité du maintien de l’ordre dans le Sebaou. Le 20 mars, ils vinrent recevoir, à Alger, le burnous d’investiture. Ben-Salem, qui ne les avait pas accompagnés alors, s’y rendit, le 8 avril. Le maréchal avait donné l’ordre qu’on lui fit un accueil exceptionnel. Une députation d’officiers supérieurs, suivie d’un escadron de chasseurs d’Afrique, fanfare en tête, l’attendait à la Maison-Carrée. Il arrivait lui-même, précédé d’un goum de 150 cavaliers faisant la fantasia. Ben-Salem n’avait pas vu Alger depuis 1830 ; les changemens accomplis pendant ces dix-sept années le frappèrent d’étonnement. Enfin, l’arrivée de Bel-Kassem et de Bou-Chareb acheva de consacrer publiquement la soumission du Sebaou.

Tandis que cet heureux événement s’accomplissait, au nord-est, le maréchal faisait exécuter, dans l’extrême sud, où il importait de montrer de temps en temps le drapeau de la France, moins des expéditions que de grandes promenades militaires. Il y en eut trois simultanément. La première, sous les ordres du général Jusuf,