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leur chemin d’Oran et d’Alger à Paris. Saint-Arnaud écrivait, au mois de janvier 1846 : « Il n’y a pas deux camps dans l’armée d’Afrique, mais il y a deux hommes : l’un grand, plein de génie, qui, par sa franchise et sa brusquerie, se fait quelquefois des ennemis, lui qui n’est l’ennemi de personne ; l’autre capable, habile, ambitieux, qui croit au pouvoir de la presse et la ménage, qui pense que le civil tuera le militaire en Afrique et se met du côté du civil. L’armée n’est pas divisée pour cela entre le maréchal Bugeaud et le général La Moricière ; seulement il y a un certain nombre d’officiers qui espèrent plus d’un jeune général qui a de l’avenir que d’un vieillard illustre dont la carrière ne peut plus être bien longue. »

Comme pour confirmer le dire de Saint-Arnaud, voici ce que le maréchal écrivait lui-même à M. Guizot, au mois d’avril 1846 : « Mon temps est fini, cela est évident ; l’œuvre étant devenue quelque chose, tout le monde s’en empare ; chacun veut y mettre sa pierre, bien ou mal. Je ne puis m’opposer à ce torrent et je ne veux pas le suivre. Je m’éloigne donc de la rive. J’ai déjà fait la lettre par laquelle je prie M. le ministre de la guerre de soumettre au gouvernement du roi la demande que je fais d’un successeur. Je fonde ma demande sur ma santé, mon âge et mes affaires de famille ; mais, entre nous, je vous le dis, ma grande raison, c’est que je ne veux pas être l’artisan des idées fausses qui règnent très généralement sur les grandes questions d’Afrique. Je ne redoute ni les grands travaux de la guerre ni ceux de l’administration ; mais je redoute l’opinion publique égarée. Je vous demande aujourd’hui une faveur, c’est de me faire accorder un congé définitif pour les premiers jours de juillet. Dans trois mois, je serai soustrait à cet enfer. » Les bons conseils de M. Guizot et les instances du roi prévinrent la retraite définitive ; l’absence du maréchal ne fut que temporaire.

Le 18 juillet, laissant l’intérim au général de Bar, qui commandait la division d’Alger, il s’embarqua pour France ; La Moricière, également pourvu d’un congé, l’y avait précédé d’un mois. Ils allaient se retrouver tous les deux sur la scène politique, car, aux élections générales du mois d’août 1846, l’arrondissement d’Excideuil renouvela le mandat du maréchal, et l’arrondissement de Saint-Calais, dans la Sarthe, nomma La Moricière pour le représenter à la chambre. Ils revinrent l’un et l’autre en Algérie au mois de novembre, mais le général pour très peu de temps, parce que l’ouverture de la session ne tarda pas à l’appeler à Paris. Le maréchal, au contraire, demeura en Afrique, et pourtant sa présence à la chambre eût paru bien justifiée, car une demande de crédit pour un grand essai de colonisation militaire allait être mise en discussion.

Quoiqu’il n’eût plus à subir les contradictions du maréchal Soult,