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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/703

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c’est le professeur Astier-Réhu, avec « son sévère coup de mâchoire. » M. Zola entasse les détails, ce qu’il veut nous montrer, il en décrit tous les aspects, de profil, de trois quarts et de face ; la description y gagne peut-être, mais la clarté, la précision, la ressemblance même y perdent. M. de Maupassant observe son modèle, — sans nous en faire la confidence, ni nous faire passer à notre tour par les « études » qu’il en a faites, — jusqu’à ce qu’il en ait saisi le caractère ou le trait essentiel, celui qui le distingue de tous les autres êtres ou de tous les autres objets qui lui ressemblent. C’est lui, des trois, le plus naturaliste ; plus naturaliste que Flaubert lui-même, en qui le romantique a subsisté jusqu’à son dernier jour, et les petits chefs-d’œuvre du naturalisme contemporain, c’est parmi les nouvelles de M. de Maupassant que l’on les trouvera.

Il l’est encore d’une autre manière, par et pour le soin avec lequel il a toujours évité de se mêler lui-même, dans ses romans ou dans ses nouvelles, de faire dans les histoires qu’il raconte la confession de celles qui lui sont arrivées, de laisser voir seulement pour lesquels de ses personnages il incline, en admettant un instant qu’ils ne soient pas tous égaux devant lui. Ce qu’il a bien vu, M. de Maupassant tâche de le bien rendre ; rien de moins et rien de plus ; au lecteur, après cela, d’en tirer la « morale, » c’est-à-dire la signification. On remarquera que si ce n’est pas ici la définition même du naturalisme, c’en est du moins le point de départ : graver en soi l’image des choses, et, quand elle l’est, l’objectiver ; ou, encore, en recevoir l’empreinte, et ne faire servir l’art qu’à en assurer la fidélité. Tous les procédés du vrai naturalisme, si l’on y veut bien faire un peu d’attention, n’ont pour objet, dans le roman comme en peinture, que de mettre l’artiste en garde contre mille moyens qu’il a de déformer la réalité, pour un seul de la reproduire. Lisez à ce point de vue les meilleures nouvelles de M. de Maupassant : il vous semblera que tout autre que lui, que vous-même, au besoin, eussiez pu les écrire ; elles sont impersonnelles comme les œuvres classiques. Lequel des deux est le plus difficile, ou le plus rare, ou le plus beau, d’imiter ainsi la nature, ou, au contraire, d’en employer les moyens à nous élever au-dessus d’elle ? Je n’en sais rien ; il faudrait distinguer ; ce qui serait vrai du roman ne le serait peut-être pas du théâtre ou de la poésie. Mais si cette fidélité de l’imitation, si la réalisation de ce caractère impersonnel et en quelque sorte éternel de l’œuvre a été dans notre temps, en France et aussi ailleurs, l’objet du naturalisme, on peut dire encore que nul ne l’a plus pleinement atteint que M. de Maupassant.

Et il est naturaliste enfin, pour avoir, presque aussi soigneusement que de se mettre en scène, évité de combiner dans ses romans ou de raconter dans ses nouvelles des aventures extraordinaires. Je dis presque, et non pas tout à fait. C’est qu’il a quelques histoires de