et de même que « le peintre qui fait notre portrait ne montre pas notre squelette, » de même il a fait de ses observations morales le support secret et la substance intérieure de ses œuvres. Contre les infamies que l’argent fait commettre, il n’a point déclamé, il a écrit l’Héritage ; sur la profondeur et le lent travail du remords dans une âme grossière, il n’a point philosophé, il a écrit la Petite Roque ; pour montrer en quel point précis d’une âme basse ou d’une nature obtuse il fallait appuyer pour faire naître ou pour réveiller le sentiment patriotique, il a écrit la Mère Sauvage et Mlle Fifi.
Dans cette étude de l’âme humaine, lui reprocherons-nous de n’avoir pris qu’une assez triste idée de l’homme et de la vie ? Oui et non. Oui, dans la mesure où son pessimisme, comme dans ses premières nouvelles, assez semblable, à celui, de Flaubert, ne procédait que d’un superbe dédain d’artiste pour toute cette humanité qui ne se soucie guère de littérature, à laquelle il importe peu qu’une phrase soit bien ou mal faite, et qui meurt comme elle a vécu, sans avoir peut-être entendu parler de Madame Bovary. Je la plains volontiers ; et, autant qu’il est en moi, je voudrais qu’elle s’intéressât à ce qui nous intéresse. Même je n’écris, nous n’écrivons tous, que pour lui persuader de s’y intéresser. Je ne saurais cependant la traiter d’espèce inférieure, et parce qu’elle ne me lit point, ou parce qu’elle me loue mal ! — c’était surtout ce qui faisait enrager Flaubert, — je ne saurais en conclure que la vie est mauvaise. Il semble bien, je le répète, qu’il y ait quelque chose de cela dans les premières nouvelles de M. de Maupassant ; et, après tout, ces sentimens sont naturels à la vingtième année. La jeunesse, qui est le temps de la générosité du cœur, est aussi celui de l’intolérance de l’esprit. Mais M. de Maupassant a vécu depuis lors, il a beaucoup vu, il a beaucoup songé ; son pessimisme a changé de nature ; et fondé qu’il est aujourd’hui sur l’expérience et la méditation, je répète également qu’il donne à son naturalisme beaucoup de profondeur.
Combien ce pessimisme diffère de celui de Flaubert et de celui de M. Zola, le lecteur qui ne le sentirait pas, n’aurait pour s’en rendre compte qu’à parcourir quelques pages du dernier volume de M. de Maupassant : Sur l’eau. L’inutilité de l’effort commun de l’humanité, depuis tant de mille ans qu’elle s’agite, son impuissance à se dégager ou à se libérer de sa nature animale, une quantité de sottise et de vice toujours égale à elle-même, ou peut-être croissante, l’éternel recommencement des choses, pareil au mouvement du cheval dans un cirque, l’impossibilité pour la pensée de franchir les bornes du monde, et la chute enfin d’autant plus ridicule et plus lourde que l’élan fut plus audacieux, ce sont les causes du pessimisme de ce romancier. Je voudrais seulement qu’en les énumérant M. de Maupassant eût ajouté deux choses : la première, que ce que l’humanité a inventé de mieux