Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enveloppant les sujets d’une lumière diffuse, dont l’ingénieux artifice échappe à l’œil du simple spectateur, il disait qu’on leur donne une valeur nouvelle et unique ; en baignant le sujet dans une atmosphère dont la composition demeure le secret des maîtres, il disait qu’on fait des chefs-d’œuvre avec une vieille femme qui arrose des fleurs sur sa fenêtre, ou avec des buveurs attablés dans un cabaret. Il me semble que c’est le rôle aussi de la sympathie esthétique dans le roman naturaliste, et je ne sais, en vérité, si les naturalistes l’ont toujours bien compris. Avec ce que la vie quotidienne a de plus familier, pour ne pas dire de plus vulgaire, le romancier peut nous intéresser, non pas même s’il ajoute sa personne à son œuvre, mais seulement s’il a senti ce qu’il peut tenir de joie dans un verre de vin que boivent deux ouvriers sur le coin d’une table, ou de souffrance morale dans le cerveau rudimentaire d’une paysanne ou d’un vieux vagabond.

Ainsi, presque sans qu’il y songe, l’avidité de comprendre, et l’effort qu’il fait pour être compris à son tour, font rentrer dans l’œuvre d’art cette sympathie dont l’artiste avait semblé vouloir, se préserver comme d’une faiblesse. Entre l’observateur et la réalité, quelque chose d’autre s’est interposé ; et de même que le peintre, en reproduisant, les contours des objets, ne saurait s’empêcher d’imiter la lumière changeante et particulière qui les détermine, de même le conteur ou le romancier, quand ils nous font leurs récits, ne sauraient manquer, d’y faire entrer, sans l’exprimer d’ailleurs, le jugement de l’opinion sur les faits qu’ils racontent. Il y a une manière, si l’on peut ainsi dire, d’éclairer la sottise, la laideur ou le vice, qui les rend presque sympathiques ; et c’est ce qu’ont bien compris tant d’auteurs dont les œuvres ne seraient autrement que les annales du crime et de l’impudicité.

Mais d’autres formes de la sympathie ne sont point étrangères à M. de Maupassant ; et, par exemple, dans ses nouvelles, il est difficile de ne pas remarquer la place que tiennent quelques questions que l’on pourrait appeler sociales, comme celle de l’origine ou de la psychologie du crime, et comme celle encore des confins du bon sens et de la folie. Comment naît le crime et quelle part y ont le tempérament, les circonstances, l’occasion ? C’est le sujet de la Petite Roque ; ou bien encore quelle part avons-nous tous quelquefois dans les crimes des autres ? C’est le sujet de Un Vagabond. D’autres nouvelles même n’ont plus de naturaliste, au sens où l’on a quelquefois entendu le mot, que la justesse de l’observation et l’illusion de vérité que donne le récit : ainsi Mademoiselle Perle ou Miss Harriett : il est vrai que, si la première est une des plus jolies nouvelles de M. de Maupassant, j’apprécie beaucoup moins la seconde. Enfin, si je le voulais, dans les cinq ou six volumes que j’ai là sous la main, si je voulais trouver des nouvelles sentimentales, il y en aurait aussi ;