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communément appelées les Cornes du taureau. La chaleur était excessive — 46 degrés — et la pente raide. Malgré tout, les zouaves à droite, le 6e bataillon de chasseurs à pied de front, le 13e léger à gauche, grimpèrent résolument à l’assaut. « Le spectacle qui devait terminer le combat, a dit le maréchal, devint des plus intéressans. Nos trois colonnes gravissaient les rampes avec une égale ardeur. Les officiers et les soldats les plus vigoureux devancèrent bientôt leurs camarades, et l’on vit la position abordée sur trois points par une poignée d’hommes qui n’étaient pas plus braves que leurs frères d’armes, mais que leurs jarrets et leurs poitrines avaient mieux servis. Leur audace fut couronnée d’un plein succès. Les deux tiers de nos forces étaient encore sur les pentes que déjà la position était enlevée.

« Une heure après, un des plus beaux types de chef kabyle que j’aie jamais rencontrés, le chef le plus puissant des Beni-Abbès, Hamou-Tahar, a traversé toutes nos troupes pour venir à moi. Il s’exprimait avec une véhémence de gestes et de paroles qui m’a d’abord déplu ; mais la traduction m’a bientôt convaincu qu’il n’était animé que par le désir de faire cesser les maux dont sa tribu était accablée. « Arrête, m’a-t-il dit, ce châtiment que nous avons bien mérité par nos folles attaques ; les Kabyles ont été sourds à tous les conseils qui leur ont été donnés et que tu leur as donnés toi-même dans ta proclamation. J’ai fait ce que j’ai pu, parce que je connaissais ta puissance, pour engager mes concitoyens à se soumettre ; ils ne l’ont pas voulu, et j’ai été contraint moi-même d’aller brûler de la poudre contre ton camp. Aujourd’hui, ils écoutent ma voix qu’ils méconnaissaient hier, et ils m’envoient te dire qu’ils se mettent à ta discrétion. Fais cesser la destruction, et je te promets que demain j’amènerai dans ton camp les chefs des Beni-Abbès. Tu ordonneras de nous ce que tu voudras, nous t’obéirons. » Sa parole et sa physionomie étaient si franches, si expressives, il avait si bien l’air d’un homme fait pour commander aux autres, que j’ai pris en lui une entière confiance.

« Dans la prévision de l’arrivée des parlementaires, les troupes avaient été prévenues qu’au signal de trois coups de canon la destruction cesserait, et que tout le monde viendrait au point de réunion où je n’avais gardé qu’un seul bataillon et l’artillerie. Les trois loups de canon ont été tirés, et, sans attendre le rassemblement général, j’ai pris la route de mon camp, et j’y ai été rejoint successivement par tous les détachemens. » Le lendemain, les Beni-Abbès firent une soumission complète et furent placés sous l’autorité du khalifa Si-Mokrani ; les Beni-Mellikeuch, de la rive gauche, suivirent leur exemple.