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considérable, augmenté par le prix du transport à une si grande distance. » En acceptant ce raisonnement et en évaluant modestement à 3,000 francs la valeur d’un adulte, les 75,000 hommes que nous avons inutilement perdus en Crimée par fait de maladie représentent la somme de 225 millions, que n’auraient jamais coûté la multiplication des hôpitaux et l’augmentation : du service de santé.

L’insuffisance numérique des médecins et des chirurgiens militaires ! a été une des causes principales de la mortalité : Quelle que soit l’énergie d’un homme, quel que soit son dévouaient professionnel, il est une somme de labeur qu’il ne peut dépasser ; sa volonté n’eût-elle point de limites, sa force en a, et s’il les excède, il tombe. L’effectif total des troupes expédiées en Crimée par la France a été de 309,368 soldats ; l’effectif médical a été, pour toute la durée de la campagne, de 450 officiers sanitaires ; c’est-à-dire que l’on avait un chirurgien pour un peu moins de 700 hommes, ce qui peut sembler dérisoire en temps de paix et de santé ; mais ce qui devient coupable en temps de guerre et d’épidémie. Les conséquences furent douloureuses, et plus d’un de nos pauvres soldats, qui avait fait tout son devoir pendant la lutte, a dû périr parce que l’on n’a matériellement pas pu lui porter secours à l’heure opportune. Parmi les nombreux, exemples que cite le docteur Chenu, j’en relèverai deux, et il serait facile de les multiplier : « M. Petiet, lieutenant au 80e de ligne ; reçoit, dans la nuit du 23 au 24 mai 1853, un biscaïen à l’avant-bras droit. La section du membre est complète, le poignet ne tient plus que par quelques lambeaux de chair meurtrie ; l’amputation ne peut être mise en doute un seul instant, et cependant, en prenant son tour au milieu, d’un grand nombre de blessés, cet officier ne put être amputé que le surlendemain, à cause de l’insuffisance du personnel médical[1]. » Après la bataille de Traktir, 10 chirurgiens de marine furent réquisitionnés pour prêter assistance aux médecins militaires. Dans la journée même du combat, 300 amputations sont pratiquées dans les ambulances ; malgré l’adjonction des chirurgiens de la Hotte, le nombre reste bien au-dessous des exigences ; on en va juger : « Pelle (Alphonse), de Selles-sur-Cher, soldat au 95° de ligne, reçoit, le 16 août, au pont de Traktir, un coup de feu qui lui brise la jambe gauche.. Apporté à l’ambulance, il ne peut être opéré que le troisième jour[2]. » Comment en eût-il été autrement ? les jours mêmes où l’attaque, devait venir de notre part, où tout, avait été préparé pour répondre aux

  1. Crimée, p. 703.
  2. Crimée, p. 706.