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nécessités du service médical, on est débordé et les blessés pâtissent. Le 8 septembre 1865, l’assaut était décidé, et nous jetons 126,705 hommes vers la tour de Malakof, qui est la clé de la position. Des ambulances volantes suivent les colonnes ; trois grandes ambulances sont installées, hors du champ de l’action, à la baie du Carénage, à Karalbelnaïa, au Clocheton ; elles sont desservies par 42 médecins ; c’est là tout le personnel qu’il est possible de retirer des hôpitaux pour le mettre à portée du champ de bataille, où plus de 100,000 soldats vont combattre et sont exposés à être frappés par la mitraille, les boulets et les balles : en vérité, c’est bien peu. Le jour même de l’assaut, les trois grandes ambulances reçurent 3,360 blessés ; chaque médecin eut donc 80 malades à soigner, 80 malades nouveaux, inconnus, qu’il fallait déshabiller, examiner, panser, endormir, amputer ; quelles que soient l’activité d’un opérateur et l’habileté de sa main, il faut du temps pour désarticuler un membre, extraire un projectile, lier les artères. Que devient un chirurgien au milieu de 80 malheureux qui, à la même minute, poussent des cris de détresse et réclament des secours-que deviennent les blessés, qui se croient abandonnés et se désespèrent ?

Dans les jours qui suivent la prise de Sébastopol, la situation s’aggrave. On peut lire dans la Relation du médecin en chef : « Il y a en traitement dans nos ambulances 10,520 malades ou blesses et, pour faire le service, il n’y a pas 80 médecins (131 malades et demi par médecin). Il était impossible de distraire un seul médecin du service des régimens, car le personnel du corps était lui-même insuffisant. Les nombreux mouvemens de troupes exigeaient chaque jour quelques médecins pour suivre les colonnes en marche, en cas d’accidens ou de rencontres de l’ennemi. Il faut ajouter à cette situation la rareté des évacuations de malades sur Constantinople. En effet, la plupart des bâtimens de l’état étaient activement employés, et les bâtimens du commerce furent momentanément seuls chargés du transport des malades. Aussi l’encombrement détermina le développement de la pourriture d’hôpital dans presque toutes les ambulances. » L’évacuation sur les hôpitaux de Constantinople ? Le médecin en chef en parle à son aise, il semble ne se point douter que le trajet des ports de Crimée au Bosphore était le plus grand péril auquel on pût exposer les malades. Jamais l’incurie administrative et le dédain de la vie humaine ne se manifestèrent avec plus d’insouciance. Le Jean-Bart, un navire de guerre, reçoit 500 blessés ou malades avec mission de les conduire à Constantinople ; le médecin en chef de la flotte, le docteur Marroin, écrit : « Grâce à la rapidité de sa marche, le Jean-Bart, malgré le mauvais