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de ses facultés, mais en raison inverse des difficultés de la vie ? » Allait-on même plus loin, et pensait-on que l’impôt doit avoir pour objet de niveler les conditions, d’atténuer les inégalités sociales, de modifier enfin la répartition des richesses ? Il n’est pas aisé de pénétrer les sentimens véritables des Athéniens sur ce point. On devine pourtant que leur système financier, du moins à l’époque démocratique, reposait sur la doctrine dont s’inspire chez nous le socialisme, » La conséquence immédiate des principes de l’école socialiste, dit M. Léon Say, c’est qu’il y a dans les ressources de l’humanité un superflu qui peut être employé à l’impôt, c’est que le monde vit d’un produit brut, qu’il y a en dehors de ce produit brut un produit net, dont la propriété peut être revendiquée par la société tout entière, » et que l’on peut affecter a aux dépenses d’utilité publique[1]. » Les Athéniens n’avaient-ils pas cette conviction, lorsqu’ils se figuraient que le capital imposable des citoyens était un fonds où l’état avait le droit de plonger les mains à son gré ? Le timèma était aussi pour eux un superflu dont la nation était autorisée à s’emparer et à user suivant son bon plaisir. Ils le faisaient servir non-seulement aux besoins de la guerre, mais encore aux réjouissances de la foule. Les pauvres s’amusaient toute l’année aux frais des riches, et ceux-ci s’évertuaient à leur procurer des distractions variées. Il y avait là une exploitation réelle de la haute bourgeoisie par la classe populaire, et le pamphlet intitulé : le Gouvernement d’Athènes prouve qu’elle était préméditée.

Parmi toutes ces charges, c’était peut-être l’eisphora que l’on supportait avec le plus d’impatience. Un homme qui équipait une belle trière ou qui organisait un magnifique spectacle en était récompensé au moins dans son amour-propre. Pendant quelque temps, la cité avait les yeux sur lui ; son nom courait de bouche en bouche ; on célébrait à l’envi sa générosité, son patriotisme ; et il recevait en plein visage des complimens qui flattaient sa vanité. Pour l’eisphora, rien de pareil. On allait chez le percepteur ; on en revenait léger d’argent ; et personne ne s’en doutait, personne ne songeait à exalter cet acte de désintéressement. Le sacrifice n’avait pour témoin qu’un agent du fisc, lequel avait autre chose à foire que de féliciter les contribuables. Le poids de l’impôt en était singulièrement aggravé, et il paraissait plus agréable de vider sa bourse par la voie liturgique.

Quelle que fut d’ailleurs la route que prenaient les drachmes, on ne s’apercevait que trop de leur fuite, et c’était là un sujet de perpétuelles lamentations. Même à travers le langage de ceux qui se

  1. Les Solutions démocratiques de la question des impôts, I, 147.