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n’est pas possible de décrire l’état actuel des choses sans se servir de ces expressions. Il en résulte que le silence se fait et qu’on ne connaît pas la situation rassurante que le zèle intelligent et le labeur soutenu d’officiers éminens ont acquise à notre artillerie de campagne. C’est doublement fâcheux. Il est bon de savoir qu’on travaille dans notre armée, qu’on y travaille fructueusement. Et il importe d’autant plus de le prouver que personne ne se gêne pour dénoncer les imperfections, soit de l’armement, soit de l’organisation. Une faute vient-elle à être commise, on le crie par-dessus les toits. Nous voudrions montrer que, s’il s’en commet, elles sont rachetées par d’heureuses innovations et d’utiles réformes. Nous le ferons, sans nous laisser retenir par la crainte d’entrer dans des détails un peu scientifiques : des lecteurs sérieux ne sauraient se contenter d’affirmations sans preuves. Nous ne nous laisserons pas davantage retenir par la crainte de susciter, chez nous, un orgueil démesuré et, chez les autres, une dangereuse jalousie, en étalant le beau côté des choses. Les gens du métier savent, de part et d’autre, ce qu’il en est au juste. Ils n’ignorent pas que la perfection des institutions militaires, et même de l’outillage, ne constitue qu’une médiocre garantie de succès. Il faut que les âmes soient trempées; il faut que la direction générale soit assurée; il faut que les mœurs et les vertus de la nation la portent aux héroïques sacrifices. Mais le courage ne suffit pas, ni l’abnégation, ni le patriotisme. On ne se bat pas sans armes. Eh bien ! les armes, nous les avons. C’est ce que nous désirons prouver. Notre artillerie de campagne est devenue un instrument de combat excellent par les améliorations successivement introduites dans son matériel, dans son organisation et, on peut dire, dans son esprit même.


I.

Ce fut un grand bonheur pour la France, au lendemain de la guerre, alors qu’il ne lui restait plus que de médiocres canons en bronze se chargeant par la bouche et montés sur de grossiers affûts en bois, que de trouver dans le commandant de Reffye un infatigable inventeur dont les cartons étaient bourrés de projets ingénieux. Dans le nombre, il y avait des tracés de bouches à feu qui venaient d’être étudiés dans le plus grand détail. On les avait mis à l’essai dans des commissions d’expériences, et on en avait été satisfait. Bien plus, au cours même de la campagne, on avait fondu des pièces de ce modèle, et ces quelques spécimens, s’ils n’avaient pu rendre de services réels au moment tardif où on en avait pu faire usage, suffisaient à montrer que l’invention était viable. On s’empressa donc d’adopter ces canons de 5 et de 7, à titre « d’armement