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Voit-on la position du point de chute par rapport au but, alors il est aisé de régler son tir par l’observation des coups. Si on distingue mal, on est perdu, à moins de posséder quelque instrument télémétrique qui renseigne exactement sur la distance. Mais comment s’en servir, puisqu’on aperçoit si confusément l’objet à atteindre? Tous les appareils de ce genre sont excellens lorsqu’on veut se rendre compte de l’éloignement d’un moulin, d’un clocher, d’un arbre se découpant sur l’horizon, d’une arête de maison se détachant en blanc sur le fond sombre d’une forêt ou d’un pré. Il n’en va plus de même lorsqu’il s’agit de regarder un ennemi qui met tout en œuvre pour se dissimuler. Comment, à 2 kilomètres 500, on croit que des canons, avec tout le personnel qui s’agite autour, avec le va-et-vient des servans autour des pièces, avec le grouillement des chevaux, on croit que ces canons sont derrière un mur, alors qu’ils sont devant, et bien qu’on emploie une longue-vue? Peut-on imaginer erreur plus grossière ! Et ce fait ne tend-il pas à prouver que les appareils perfectionnés eux-mêmes ne procurent guère de sécurité? Ah! si nous sommes sûrs des résultats qu’ils donnent, si, par exemple, ayant mesuré à l’aide d’une stadia ou d’un télémètre à combien nous sommes du but, et si le chiffre trouvé (3 kilomètres, je suppose) est assurément exact à 100 mètres près en plus ou en moins, nous serons certains, en échelonnant nos hausses depuis 2,900 mètres jusqu’à 3,100, de battre le terrain occupé par l’ennemi. Il nous suffirait même de tirer à 2,900 : la gerbe des éclats se dispersant sur une profondeur de 200 mètres rendrait la position inhabitable. On ne peut malheureusement compter sur une aussi grande précision ; force est alors de demander au tir le moyen de régler le tir, et de se servir du canon lui-même comme d’un télémètre. Le coup a-t-il porté trop près, on relève la bouche de la pièce, ce qui a pour effet d’augmenter la portée. Est-on cette fois trop loin, on tire avec une inclinaison intermédiaire. Bref, par une série de tâtonnemens successifs, on encadre le but comme dans un étau dont les mâchoires se rapprochent : pour employer l’expression technique, on « resserre la fourchette. » Les instrumens d’optique, après avoir joui (c’était vers 1875) d’une vogue inconcevable, sont tombés aujourd’hui dans un discrédit immérité. Pour- tant un retour d’opinion se dessine, bien discrètement, il est vrai, en leur faveur. Après avoir recommandé aux commandans de batterie « de ne pas se laisser absorber par leur longue-vue, » le règlement leur conseille maintenant de se procurer aussi exactement que possible, par n’importe quels moyens, des données sur la distance de l’ennemi, et de ne plus attendre ce renseignement uniquement de l’observation des points de chute. Comme s’il était facile de les observer! Demandons plutôt au prince de Hohenlohe