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de ses effectifs. Mais il importe d’ajouter qu’elle ne se croit pas arrivée au bout de sa tâche ; elle continue à travailler et à se préparer pour l’avenir. Elle n’ignore pas que son matériel est fait de pièces (naturellement) et de morceaux, qu’il manque d’unité; aussi encourage-t-elle les inventeurs, comme le commandant Locard, qui amassent dans le silence des études destinées à paraître au moment propice. La question d’opportunité, dans ces sortes d’affaires, a sa grande importance. Telle réforme heureuse aujourd’hui ne vaudra plus rien demain. Les nations voisines nous copieront et, se réglant sur nous, c’est par nos bons côtés qu’elles chercheront à nous ressembler. Elles prendront dans les inventions adoptées par notre armée ce qu’elles trouveront de meilleur. Nous n’aurons pas toujours la chance que nous venons d’avoir avec la découverte de la poudre sans fumée. La possession du secret de sa fabrication nous assure une avance considérable sur les autres nations. Je dis « sa fabrication » et non sa « composition, » car on aurait beau analyser le contenu d’une de nos gargousses ou d’une cartouche du fusil Lebel, qu’il manquerait encore la connaissance du « tour de main » nécessaire pour produire cet agent explosif, à la fois, — ou plutôt tour à tour, — si docile et si terrible.

La supériorité que nous avons acquise ainsi est hors de conteste. Doit-elle donc nous donner en nous une confiance exagérée et nous pousser à perdre, en face des provocations, le calme que nous avons su garder jusqu’à présent ? — Non ; nous n’avons pas cessé d’être dans une situation critique. Si bon que soit notre matériel, il ne supplée pas à tout. D’ailleurs, pour s’en servir, il faut que l’armée soit constituée et réunie. Sur les champs de bataille, tout ira bien ; il faut l’espérer. Mais il y a d’abord à y arriver, sur ces champs de bataille. On commencera par le commencement. Avant de se battre, il faut se mobiliser et se concentrer. Or, ces opérations ne se feront pas aujourd’hui avec la même sécurité qu’autrefois. Ces formidables défenses de la frontière (d’une frontière singulièrement rapprochée du cœur du pays), avec les obus-torpilles elles ont perdu beaucoup de leur efficacité. On ne saurait disconvenir que là est l’inconnu effrayant. Les pièces de nos forteresses ne sont plus garanties ; peut-être, au surplus, ne valent-elles pas grand’chose, car notre artillerie de place passe pour n’avoir pas réalisé des progrès comparables à ceux que notre artillerie de campagne a accomplis.

En celle-ci nous pouvons avoir confiance. Qu’il lui soit seulement donné de se mesurer avec une autre, et on verra qu’elle n’a pas dégénéré depuis un siècle, et qu’elle est digne de la sympathie que le pays n’a cessé de lui témoigner.