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moyens bons ou mauvais pour obtenir un traité amiable sans l’avoir obtenu, et cependant, lorsque les créanciers perdront patience, il pourra profiter du même traitement de faveur et sortir encore du droit commun ! Ce n’était pas la peine, on en conviendra, de tracer une telle ligne de démarcation entre la liquidation judiciaire et la faillite proprement dite.

A vrai dire, la chambre des députés n’a pas cru devoir interdire à tout débiteur qui n’aurait pas présenté sa requête au tribunal dans les premiers jours, « la possibilité » d’obtenir un concordat. Nous ne pouvons pressentir quelles idées prévaudront au sénat, et si cette disposition du projet primitif y reprendra quelque faveur. Mais, au Palais-Bourbon, M. de La Bâtie est parvenu à convertir la commission elle-même et à faire voter, le 20 octobre, un amendement d’après lequel le concordat peut encore intervenir après la déclaration de faillite, si le failli a été déclaré excusable par le tribunal de commerce. Toutefois, l’adoption de cet amendement a dérangé le mécanisme du projet, qui se complique de plus en plus. Il y aurait désormais, on le verra bientôt, deux classes de concordataires, qui ne subiront pas les mêmes incapacités.

Cependant, pour sauver la dignité de l’insolvable, on avait décidé de ne rien ébruiter. Le jugement qui déclare ouverte la « liquidation » devait être rendu sans doute en audience publique, parce que c’est la règle absolue ; mais, n’étant ni affiché ni inséré dans les journaux, il ne recevait pas de publicité véritable. C’était une erreur palpable, signalée par les défenseurs mêmes du projet, tels que M. Thaller. Est-ce que de tels comptes peuvent se régler en famille? j’ai beaucoup insisté sur ce côté faible de la réforme dans les séances de la commission chargée par la cour de cassation d’examiner le projet de loi sur les faillites, et je ne le regrette pas. D’abord le débiteur, astreint à donner la liste de ses créanciers dans la requête qu’il doit présenter au tribunal, a pu, même de bonne foi, ne pas les nommer tous. Ensuite, beaucoup de gens qui n’eussent pas connu le jugement et que rien n’eût avertis étaient exposés à contracter avec le débiteur mis en liquidation, c’est-à-dire avec un homme qui ne peut pas désormais faire de nouvelles dettes ni aliéner, même partiellement, son actif, sauf dans certains cas et à certaines conditions. Imagine-t-on que la loi, contrairement au droit commun et sous prétexte d’épargner au débiteur « une blessure irréparable, » la loi, qui va jusqu’à prescrire la publication des contrats de mariage des commerçans et punit quelquefois d’un emprisonnement correctionnel l’omission de cette formalité, tende un piège aux tiers en laissant dans l’ombre une décision judiciaire qui modifie absolument la capacité