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possédaient tous deux, d’y négocier un emprunt et d’acquérir du gouvernement américain une vaste concession de terres. Au prix auquel il cédait alors ces terrains, les nouveaux acquéreurs ne couraient aucun risque. Flower réussit dans sa mission. Ses récits enthousiastes, ses descriptions de la fertilité du sol, de la beauté et de la salubrité du climat, séduisirent plusieurs de ses compatriotes, qui imitèrent son exemple. Edwards-County se peupla de fermiers entreprenans, et, peu d’années après, se couvrait d’abondantes moissons. George Flower ne s’en tint. pas là : au centre des settlement, sur des terrains lui appartenant, il fonda un village qui bientôt devint une ville et à laquelle il donna le nom d’Albion.

George Flower mourut en 1862, laissant une grande fortune en terres, fermes et maisons. En publiant son curieux récit, la Société historique de Chicago n’a pas seulement rendu un hommage mérité à la mémoire de cet intelligent et hardi pionnier anglais, elle a encore et surtout éclairé d’un jour nouveau l’histoire peu connue, bien que comparativement récente, de la naissance d’un des plus grands et des plus riches états de l’Union, qui n’était qu’un désert le jour où il y planta sa tente, et dont la population dépasse aujourd’hui 3 millions d’habitans.


VI.

A l’époque où George Flower, colonisant l’Illinois, jetait les bases de sa grande fortune, un autre colon, Peter Smith, tentait sur les bords du lac Ontario une entreprise analogue à celle que le fermier anglais poursuivait avec succès sur les rives du lac Michigan. Ce Peter Smith, père du millionnaire Gerrit Smith, et lui-même immensément riche, fut, ainsi que son fils, l’un des types les plus curieux et les plus excentriques d’un temps et d’un milieu où l’excentricité se donnait libre carrière. Sur cette terre nouvelle, aussi peu connue que peu peuplée, les singularités et les bizarreries de caractère passaient inaperçues ; elles ne gênaient guère et n’étonnaient nullement des colons qui vivaient à grande distance les uns des autres; aucun frottement social n’adoucissait les angles ; tordues, droites ou nouées, les individualités s’y développaient à l’aise, comme les arbres dans les forêts, au gré de leurs tendances naturelles.

New-York n’était alors qu’un grand village, et Peter Smith avait à peine vingt ans quand il se prit de passion pour la vie libre et aventureuse des trappeurs. Les castors abondaient sur les bords de l’Ontario, et, comme Bas de cuir de Fenimore Cooper, il s’en, fut