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il vivait avec une excessive frugalité, élevant son fils, William-B. Aster, dans les mêmes idées. « William, disait-il un jour, ne saura peut-être pas gagner de l’argent, mais il saura garder celui que je lui laisserai. » En cela il ne se trompait pas, et la fortune de son fils, comme la sienne, a grandi avec la même rapidité que celle de l’Impérial City. Dans les dernières années de sa vie, il mettait de côté et plaçait chaque trimestre 1 millions /2 de francs en acquisitions nouvelles de terrains ou de valeurs locales.

Peter Smith suivait l’exemple de son associé. Pendant qu’Astor opérait sur les terrains de New-York, Peter Smith, mieux au courant que personne de la valeur des terres du nord-ouest, achetait de grandes concessions sur les points où il prévoyait que l’émigration agricole se porterait de préférence. Il comprenait qu’avant peu, cette solitude se peuplerait, que la prospérité croissante de la ville de New -York entraînerait celle du reste de l’état, et, dans ses achats judicieux, il faisait main basse sur les terres irrigables et d’accès facile. Mais à mesure qu’il avançait en âge et que sa fortune augmentait il était envahi par une sorte de mélancolie religieuse assez fréquente, au déclin des ans, chez ces rudes pionniers dont la vie solitaire s’écoule au milieu des vastes espaces et des grands horizons. La pensée forcément repliée sur elle-même, l’imagination toujours en éveil, l’observation incessante des phénomènes de la nature, leur font entrevoir, par-delà les manifestations silencieuses du monde visible, la source mystérieuse de vie, la cause première que nous voile notre horizon borné, et dont les occupations et les préoccupations inquiètes de notre vie agitée détournent sans cesse nos yeux et notre esprit. La solitude l’avait conquis. Il s’était marié jeune et n’avait qu’un fils, Gerrit Smith. De ses immenses propriétés, il se réserva une ferme à Schneetady, s’y enferma et transféra, de son vivant, tout ce qu’il possédait à son unique descendant,

Gerrit Smith n’héritait pas seulement des plus riches terres de l’état de New-York; il héritait aussi de la volonté et de l’incessante activité de son père. Dans l’œuvre qui s’accomplissait alors, dans l’édification, sur les rives de l’Atlantique, d’une puissante république, la tâche était multiple et le labeur sans trêve. Sur ce vaste champ de travail, toutes les aptitudes trouvaient place, toutes les énergies libre carrière, toutes les forces leur emploi. Possesseur d’immenses espaces, Gerrit Smith avait à continuer l’œuvre de son père, à mettre en valeur cette grande fortune, à défricher, construire, exploiter le sol, y attirer l’émigration, faire œuvre de colon après œuvre de pionnier et d’explorateur. Mais ses capitaux disponibles furent promptement absorbés; il lui en fallait d’autres. Il